Eliogabal - Mo
Il y a d'abord la guitare de Paul Ménard qui fait l'effet d'un seau de bile froide sur la frappe sourde de Pierre Pasquis sur le morceau "Un caillou dans la chaussure", premier titre de Mo, le second album d'Eliogabal, quintet lillois produit par le label BeCoq de Thomas Coquelet que l'on retrouve ici à la basse.
Une basse lourde, pesante, torride, qui oscille entre les abattis lancinants d'une musique foncièrement urbaine et l'agilité goguenarde du jazz. Quant au caillou, ce n'est plus un caillou, c'est un rocher. Ce n'est pas du minerai, c'est du Métal ; et du plus solide alliage qu'il soit, compressé entre les deux saxophones. A gauche celui, ténor, de Maël Bougeard. A droite celui, alto, de Sakina Abdou que l'on avait pu découvrir dans La Pieuvre d'Olivier Benoit.
Deux saxophones qui bordent les éclats électriques d'un Power Trio en forme de coeur de chauffe et qui conduisent l'énergie non pour la canaliser mais pour la rendre plus puissante, même quand elle leur échappe dans "Syndrome Harfan" et ce chaos chauffé à blanc qui débouche sur une atmosphère jazz-rock presque ironique.
Lorsqu'on écoute "Cynorrhodon", le dernier morceau d'un album très court mais percutant comme un coup de poing, on reconnaît tous les genres aux confins desquels le label BeCoq navigue, une basse pleine d'un Funk aphteux, une rythmique à l'insistance pleine de métal déchiré par une guitare contondante et des saxophones qui jonglent entre la douceur sablonneuse et la découpe mimétique aux accents industriels.
On songe à des groupes comme Kouma pour la violence sans apprêt, mais également aux nordistes de Louis Minus XVI dont nous avions déjà parlé. Ici, le propos est moins Noise, même si le disque commence sur un emportement soudain et impétueux ; on se dit bien vite que ce qui est entrain de se jouer là ressemble à une scène entrain d'éclore -on pourrait y rajouter Hippie Diktat- et qui met en perspective pas mal d'influences. Eliogabal évoque Ornette Coleman : il se pelotonne dans les sédiments charriés par l'alto. Eliogabal cite Braxton : s'il est là, c'est celui de Black Vomit.
Il pourrait en citer d'autres auquel on songe : Naked City, Lars Bech Pillgard et une bonne partie de la scène suisse autour de Christoph Erb.
On avait eu l'occasion d'évoquer succinctement le premier album d'Eliogabal, l'une des premières sorties du label BeCoq. Matière Foetale était un album sombre, ou tout semblait grouiller dans une masse teinté de volontés bruitistes. Mo à ce titre est bien plus lumineux, zébré de fulgurances claires comme un orage dans un format tout aussi ramassé. Il n'y a qu'à se pencher sur le presque languide "Drague de Pigeon" et cette discussion roucoulante entre les deux saxophones pour voir nettement mieux les intentions de l'orchestre qui dompte son impétuosité pour mieux exprimer toute une gamme de sentiments parfois contraires : la douceur et la rage.
Doux-amer, salé-sucré... Même une langue qui se mord en pleine épilepsie conserve le raffinement de ses goûts. Même trouée de toutes parts, celle de BeCoq n'a pas fini de nous faire saliver...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...