Anthony Braxton - Trio And Duet
En 2013, j'avais déjà fait le coup de la chronique d'un disque d'Anthony Braxton pour le Jazzday qui a lieu tous les ans le 30 avril ; cette année, j'ai failli faire la même chose, et nous voilà le 3 mai.
Peur des redites, sans doute, et manque de temps, assurément. A la place, j'ai joué sur Twitter avec le Hashtag #UneHeureUnDisque. Je vous laisse aller voir.
Pour autant, Braxton, on y revient toujours. Et l'on risque d'ailleurs plus souvent qu'à son tour jusqu'à la fin de l'année ; de ça, nous reparlerons. Lorsque s'est posé la question de quel disque de Braxton n'avait pas encore fait l'objet d'une note sur ce blog, le sentiment a été partagé entre l'étourdissement du nombre et la tyrannie du choix. Lequel dans la multitude ? Pourquoi plus celui-ci qu'un autre ?
Et puis assez vite, Trio and Duet est apparu comme une évidence. Plus exactement une nécessité. Parce que ce disque est passionnant, d'abord. Mais aussi par son atypisme. Ajoutons même : par son atypisme presque revendiqué, fondamentalement comme formellement.
Ce disque paru en 1975 sur le label canadien Sackville (distribué désormais par Delmark, de Chicago), pour lequel Braxton a également enregistré un disque de duo avec Roscoe Mitchell en 1978, est une sorte de pierre angulaire, quand bien même il aurait des allures de fourre-tout. Sur les deux faces de l'album, on trouve deux formations différentes, et même deux musiques assez différentes.
La première face est un trio avec un de ses vieux complices de l'AACM, Léo Wadada Smith aux trompettes et objets et un nouveau venu dans l'univers de Braxton, le clavièriste Richard Teitelbaum, qu'il retrouvera souvent par la suite, au moins jusqu'en 1994. Mais Braxton porte un grand intérêt à ce musicien depuis longtemps, en témoigne cette dédicace de la composition 23N, enregistré avec des musiciens japonais en 1973 (Four Compositions(1973)).
Teitelbaum est un magnifique architecte du son qui a notamment travaillé avec Luigi Nono. Plus tard, sa collaboration avec le tromboniste George Lewis permettra un formidable hommage à Charlie Parker ; on le retrouvera également aux côté de toutes les fortes têtes de la musique improvisée mondiale, à commencer par Joëlle Léandre. Son style est ici très reconnaissable, et l'on sent son influence sur la compostion de Braxton.
Ici, la composition 36 (elle n'est pas appelé ainsi sur le disque, mais c'est de celle-ci dont il s'agit) consiste en un travail d'ordonnancement de l'espace entre les timbres des instruments. La trompette de Smith et les clarinettes s'allient à merveille face aux sons très travaillés de Teitelbaum et le morceau franchit à de nombreux instants la limite plus que ténue qui les séparent du silence. Parfois, lorsque Braxton se saisit de la tonitruante clarinette contrebasse, c'est au contraire avec l'électronique qu'il s'allie. On retrouve bien la grammaire de Braxton entrain de s'écrire, l'importance des relations triangulaires et sa volonté de ne jamais l'éloigner trop d'une certaine forme de tradition.
C'es tout l'enjeu de la seconde face. On a longtemps reproché dans les seventies à Braxton d'être dans un entre deux -c'est une ânerie-. Ici, dans cet ultime album paru avant des années de liberté en contrat avec le label Arista qui lui permettra de développer son propose, il ne choisit pas. Puisque c'est renoncer.
Il incrémente.
La seconde face, après le trio, est un duo avec Dave Holland qui est dans ces années 70 l'un de ses comparses les plus fidèles, avec le batteur Barry Altschul dans un quartet (ou l'on retrouvait à l'envi Kenny Wheeler ou George Lewis entre autre), dans le quintet du contrebassiste ou dans le Circle de Chick Corea. Avec Holland, Anthony Braxton reprend iciun certain nombre de Standards.
Ca peut paraître commun, mais c'est inouï : nous sommes quelques mois après la sortie du saisissant In The Tradition où Braxton s'est emparé des Standards pour les passer à sa propre lecture. Mais surtout, il s'agit ici du seul enregistrement de Braxton et de Dave Holland en duo alto/contrebasse.
Qui plus est, on entend pour la première fois "You Go To My Head" rendu célèbre par Billie Holiday, et qui reste un morceau central de l'obsession d'Anthony Braxton pour les standards, notamment en solo. Ici, le propos est d'abord détendu, le son d'Holland est presque bienveillant... Et puis soudain tout s'affole. Les caractes de l'alto viennent mettre le feu à la discussion sereine, et le contrebassiste se lance dans un solo étourdissant.
On retrouvera cette double pugnacité dans le très beau "The Song Is You" qui mérite à lui seul qu'on se passionne pour cet album. A noter que dans la version de 2002 -celle dont je dispose- deux inédits ont été rajouté ; "On Green Dolphin Street" vaut le coup de chercher cette version dans une solderie ou sur Internet. Principalement pour les cris de l'alto sur une ligne de basse d'une fluidité déconcertante...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...