CUIR - Chez Ackenbush
On avait déjà, à l'occasion de la chronique de deux ressorties (celles avec Joëlle Léandre et George Lewis, puis celle avec Lazro et Nozati), du travail remarquable réalisé par Jean-Marc Foussat pour le label Fou Records.
Un travail de passionné, avec un sens de la perfection du son. C'est ce que l'on peut remarquer aujourd'hui avec l'enregistrement du quintet CUIR, en juillet 2014 chez Ackenbush, la maison de Malakoff qui fait elle aussi tant pour les musiques improvisées les plus radicales.
CUIR, c'est à la fois un hommage à la vie et à la matière ; à la matière vivante, en un mot.
On y découvre avec une certaine excitation le pianiste John Cuny qui au plus profond de son piano préparé propose des ambiances crépitantes, puissantes, où le chaos n'est jamais loin. Mais dans un morceau comme "Peau de Chagrin", sans doute le plus intéressant de cet album coup de poing, il fait également montre d'une belle culture classique dans un solo presque retenu dans l'explosion ambiante.
Nul besoin de batterie. Pour accompagner le pianiste dont on perçoit avec saisissement toute la force rythmique dans le premier morceau "Epidermiologie" où son clavier passe en quelques mouvement d'allures de percussion boisée à un un martèlement des profondeurs qui monte comme un tsunami, on trouve la contrebasse de Yoram Rosilio.
La relation est d'évidence. Le (ni dieu ni) maître de cérémonie de l'Anti Rubber Brain Factory, dont le travail a été souligné à plusieurs reprises sur Citizen Jazz est à l'aise dans ces atmosphères où tout semble partir de multiples direction en même temps. On retrouve également cette intérêt pour les discussions intimes, en duo ou à plusieurs tels qu'il peut les animer dans son duo Le Bal Pourri avec le saxophoniste Benoît Guenoun.
Ici, avec deux trompettes (Nicolas Souchal et Jérôme Fouquet), les jeux de timbres peuvent mettre mutiples et s'instillent partout, explose les formes en les épousant toute à la fois, avec la solidité et l'élasticité moulante du cuir, forcément organique et tannée par les coups.
Les coups, c'est l'affaire de Rosilio, rageur et tout à la fois prêt à la discussion se marie tout à fait à ses comparses, avec lesquels il a l'habitude de jouer. Dans le reste du quintet, on retrouve des membres de l'ARBF. Il est ici, avec le pianiste, une balise stable qui permet aux soufflants de fleurir.
C'est notamment le cas du clarinettiste basse Jean-Brice Godet, qu'on a pu récemment croiser sur WATT, dans une configuration plus stupéfiée. Celui-ci s'amuse à de nombreuses reprises à jouer la courroie de transmission entre piano et contrebasse. Voir ainsi "Peau de Chagrin" où il se débat caché dans l'antre du piano alors que la contrebasse s'échine dans des claquements sourds, elle-même sans doute bardée d'objets. C'est lui qui ouvrira la multiplicité des langages et des prises de paroles aux prémices de "Tartare", le long morceau d'un album court où les autres plages sont plus conçue comme des coups de poing.
Quant à Souchal, on le retrouve dans un registre assez proche de ce qu'il a pu faire dans Les Arbres ont Bougé Pendant la Nuit, où un Free pur se mêlait au Field Recording. On retrouve ici la même urgence, la même envie de traduire une pulsion, ça grince, ça crie, les embouchures chauffent... Cuir s'inscrit dans une certaine tradition du Free dont Rosilio se réclame. On retrouvera chez Cuny quelques traits pulsatils empruntés chez Muhal Richards Abrams ("Echarnage").
Il y a pire comme référence...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...