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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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23 février 2016

Mario Stantchev & Lionel Martin - Jazz Before Jazz

C'est une très intéressante promenade dans laquelle nous mène le pianiste bulgare Mario Stantchev et le saxophoniste Lionel Martin avec l'album Jazz Before Jazz. L'idiome est déjà suffisamment compliqué à définir et à dater, mais voilà que les deux musiciens lui trouvent de nouvelles racines plus anciennes, planquées au plus profond du ragtime et qui boivent mêmes des oligo-éléments plus anciens.
Ceux du compositeur étasunien Louis Moreau Gottschalk, né à la Nouvelle-Orléans en 1829 d'un père anglais et d'une mère créole haïtienne, qui fit le chemin inverse vers l'Europe à peine cent ans avant les jazzmen noirs de l'après-guerre et rencontra Pleyel et Chopin... De quoi nourrir une disposition à l'écriture Romantique que l'on perçoit dans son morceau "Le bananier", sans doute l'un de ses plus connus et que les deux musiciens ramènent avec un certain talent à la lumière de notre modernité, dans un dialogue libre et serti d'allusions, de citations et de jeux complices. Gottschalk est mort à Rio de Janeiro en 1869, et les rythmes afro-cubains ont inondé son écriture d'une rare finesse.
Son goût pour les Habaneras, en vogue en ce milieu de XIXème siècle en Europe se confronte à la réalité des pays qu'il visite et de ses propres origines. C'est ainsi pour "Le souvenir de la Havane" où le soprano caressant de Martin, qu'on a pu découvrir dans le Trio Resistances de Bruno Tocanne, fait merveille.
Le jeu de Stantchev, très percussif emmène ce souvenir créole dans des dimensions plus européennes, clairement slave parfois. Le pianiste que l'on a pu voir il y a de nombreuses années dans les formations de Daniel Humair entre autre, renvoie Gottschalk à ses influences européennes, mais il le mâtine d'une main gauche puissante qui cherche les miettes de jazz pour les mettre en évidence.
C'est sobre, mais c'est très évocateur.
C'est cet entre-deux qui est délicieux et nous interroge clairement sur tout ce qui a pu se mélanger dans le grand shaker du jazz pour amalgamer toutes nos musiques. Dans "Le Banjo", tout comme dans le plus long "Marche des Gibaros" qui est sans doute le morceau le plus réussi de cet album, il y a une certaine jubilation des deux musiciens à faire des constants allers-retours, voire à jouer au chat et à la souris entre Paris et la Nouvelle-Orléans ; entre la musique de rue et la musique de cours... Ces cours européennes que Gottschalk a fréquenté, notamment celle du Roi d'Espagne.
Ceux qui s'intéressent à la collection "American Classics" de chez Naxos avaient déjà une idéee assez claire de la musique de Gottschalk, mais notre duo lui donne des habits neufs tout en respectant sa silhouette, mais en gommant la dimension "exotique" qui caractérise souvent les interprétations des partitions.
On pense de manière assez rapide à un autre hommage, celui de Matt Turner autour de Stephen Foster, autre musicien américain de cette époque (il sont nés et morts à quatre ans de différence...), bien plus connu. L'hommage est assez semblable, l'idée est de faire remonter du passé des interrogations très actuelles, et de se promener dans ce patrimoine. Néanmoins, Jazz Before Jazz est plus proche de l'original, moins onirique que The Voices that are gone.
Sans doute parce que contrairement à Foster, Gottschalk a vécu en Louisiane, et n'en a pas fait une sorte de fantasme, même s'il est bien entendu marqué par l'imagerie coloniale ambiante de son époque. On se plaît à écouter cet album qui dépasse l'aspect documentaire pour en faire un objet très précieux.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

01-Pelouse-Interdite

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