Eric Zinman - Zither Gods
Figure intransigeante de la musique improvidée mondiale, le pianiste Eric Zinman est friand de collaborations, souvent fidèles, comme Linda Sharrock, Itaru Oki ou François Tusques. On ne s'étonnera pas dès lors de le retrouversur le label Improvising Beings. C'est même naturel, tant toute sa musique semble comblée par cette famille de musiciens.
On peut être fidèle et rompu aux traversées solitaires. Pour ces dernières, empruntes d'une certaine mystique du son et des couleurs, il aime penser son instrument, si ce n'est pas l'incarner, voire le transfigurer. C'est exactement ce à quoi nous invite Zither Gods, qui explore les 88 touches dans toutes leurs dimensions, leurs timbres et même leurs sympathies réciproques.
Qu'est-ce qu'un piano, au fond ? Et même, corollaire nécessaire qu'est-ce que le fond d'un piano ? Que donnent entre-elles ces myriades de cordes et ces enchevêtrements extrêmement travaillés de bois et de feutres ? Quels sont les objets qui s'amalgament et arrivent à se faire passer pour des touches ? Ces 88 touches ne sont elles pas autant de tambours, autant de cymbales, autant de rythmiques rituelles qui font comme une mini tour de Babel portative (par deux déménageurs entraînés et gaînés de ceintures lombaires, certes, mais quand même ?) qui trouverait son mantra dans l'intense "Tribal Piano", nécessairement à plusieurs voix en une seule, entre polyphonie et schizophrénie ?
D'ailleurs, la batterie n"est elle pas un piano comme un autre, à peine un peu cubiste ? Sylvain Darrifourcq lui-même n'est-il pas coutumier de l'usage de la cithare (zither) dans son set de batterie ?
C'est exactement ce à quoi Zinman tente de répondre dans "Zither Gods", morceau qui cherche et se cogne, plonge dans le cortex de tout ce qui peut être la dimension du piano et en ramène des trésors. Il y aura un "Zither Gods coda", en toute fin, court, comme les autres morceaux de l'album. Ce retour monte comme une vague, la batterie-piano se fait plus musicale à mesure que les cymbales sonnent comme les sons les plus caverneux. Ces artifices laissent voir, fugacement, l'âme du piano.
Entre deux, Zinman sert quelques douces rêveries qui rappelle qu'il a joué et étudié avec Bill Dixon ou Jimmy Giuffre. "Dance Sequence spring 2012" est ainsi une petite merveille de douceur et de délicatesse qui rappelle que le piano, comme n'importe quel dieu vengeur peut aussi se montrer carressant.
Ce dieu versatile a même le droit de douter, et ce n'est pas donner à n'importe qui. Ainsi, les deux parties de "The Adventures of the Yippy Coyote Dance Orchestra" sont des miniatures en constant mouvement, comme un animal sauvage qui piaffe, fait des allers-retours, trépigne, se cogne et y retourne quand même.
C'est un carnet de route très intime capté entre 2011 et 2015 que nous présente Eric Zinman. C'est un fait : même en étant dépourvu de piété, on se recueille sur ce Zither Gods sans se faire prier !
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...