Hugues Vincent & Rioji Hojito - Strange Days
Le violoncelliste Hugues Vincent offre la certitude de s'ouvrir aux artistes qui font du Japon un pays à part en matière de musiques improvisées.
Installé à Kyoto, c'est un observateur sensible de la scène nippone, qu'il détaille à travers diverses collaborations, souvent paru sur le label Improvising Beings qui a le soin de toujours suivre les artistes dans la durée ; nous en avons déjà parlé.
Après un disque avec la chanteuse Maki Hachiya, un autre avec son collègue Yasumune Morishige, c'est avec Rioji Hojito un pianiste à la renommée déjà grande en Europe que nous le retrouvons, pour un disque plus lumineux et plus joyeux que ce à quoi il nous avait accoutumé. Même si « For Sun » commence comme une étrange danse rituelle assez mystique, et le devient encore plus lorsque le pianiste psalmodie, il y a effectivement un côté très chaleureux à cette rencontre.
Non que les précédent enregistrement de Vincent furent sinistre. Loin de là ; mais son duo avec John Cuny était vif, tranché. Les zones d'ombres pouvaient être fugacement éclairés plein phares.
La matière qui nourrit Strange Days est plus en harmonie.
Plus sensible mais toujours aussi subtil. Ce n'est pas la folie qui s'empare du très naturaliste « Dans les marais (avec les crapauds) » qui dira l'inverse. Chaque son est pesé, s'inspire de tout un bestiaire mais ne cède rien à la facilité. Les cordes, frappées, triturées, pincées, frottées ou assourdies par toute sorte d'objets ne révèlent pas toujours le nom de leur propriétaire mais font fidèlement office pour suggérer des paysages dans un format très courts.
Des Haïkus, en quelque sorte, un mélange de tradition jalousement respectée et une volonté de développer un nouveau langage plus abstrait.
Rioji Hojito n'est pas un inconnu. Il collabore souvent en duo avec des improvisateurs européens. Qui se souvient de ses Sapporo Duets avec Joëlle Léandre au début de ce siècle ? Rien n'a changé. Hojito s'amuse autant avec toutes sortes de jouets aime jouer avec les codes, en témoigne l'entrée en matière (« Hello ») où son piano se fait Monkien dans des petites phrases avortées.
C'est ce qu'on note en préambule dans ce beau disque : le jeu. Le plaisir enfantin de jouer avec des objets (« Rain is Coming ! »), avec des effets (« Rock in The Farmyard »), et avec beaucoup d'innocence et de douceur (« Sweet Morning »).
On songe à deux autres duo nippo-européen dans l'approche très illustrée, presque rituelle parfois, même si la musique en elle-même a peu de points communs. D'abord celui qui lie Akira Sakata et Giovanni Di Domenico, avec qui le présent orchestre a déjà fait plateau commun. Ensuite, Donkey Monkey avec Eve Risser et Yuko Oshima pour cette volonté de ne jamais se laisser entraver par des règles et jouer toujours avec le maximum de poésie possible.
Vincent et Hojito ont beaucoup d'images poétiques à confronter et à accommoder. Ce n'est jamais outrancier, toujours minutieux. Strange Days n'est pas si étrange : il sort juste de l'ordinaire. C'est une des plus belles qualités.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...