David Lescot & Emmanuel Bex - La Chose Commune
Le ventre d'une révolution, c'est à cela que nous convie les six artistes qui proposent La Chose Commune, le genre de disque inclassable et sans étiquettes que nous aimons particulièrement par ici. Le ventre d'une révolution, c'est à dire son fonctionnement interne, dans ce qu'elle a de plus prosaïque. Et pas n'importe laquelle : la plus forte, la plus belle, la Commune de Paris de 1871, celle d'Eugène Pottier et de Jules Vallès, un des rare Jules de cette époque à ne pas avoir une prose de nul...
C'est du moins ce qu'on l'on conclut lorsqu'on écoute la belle histoire de David Lescot, comédien, musicien, dramaturge et auteur de ce opéra miniature et trompettiste surprenant. Une œuvre où l'on a le plaisir infini de retrouver Mike Ladd, le Mike Ladd des Infesticons, et Elise Caron au meilleur de sa forme et dans son élément. Les lecteurs réguliers de ce blog le savent, il n'y a pas de plaisir tel que lorsque les wagons se raccrochent.
Autant dire qu'en l'espèce, avec ce disque paru sur le label du Triton des Lilas, il y a matière à être plus que comblé.
Une belle découverte que ce Lescot : belle écriture, scansion parfaite dans « Le 18 mars » inaugural où il se coule dans le groove insolent d'Emmanuel Bex à l'orgue, qui retrouve Mike Ladd, et Simon Goubert à la batterie, lui aussi dans son jardin.
Le climat de 1871, 100 ans avant la naissance de l'auteur se place avec une simplicité fabuleuse.
Rien n'est appuyé, il n'y a ni postures ni clin d'oeil si appuyé qu'il en devient douloureux. Nous sommes dans la Commune, au cœur des rues de Paris, entre lumineux portraits admiratifs d'« Elisabeth Dimitrieff » ou de Louise Michel » dressés par Elise Caron exubérance poing levé lorsque Mike Ladd prend la vague d'un groove agressif sur « Versailles Assault » où Elise Caron nous rappelle qu'en plus d'être une grande chanteuse, c'est une remarquable flûtiste.
Parfois, le disque fait une petite place à la nostalgie, souvent dans le saxophone de Géraldine Laurent, qu'on avait rarement vu à pareille fête. Il y a « Le Temps des Cerises », bien sûr, patiemment déconstruit où le dialogue met en perspective un espoir et une transmission. Mais il y a aussi « Duo de femmes », beau texte et belle interprétation Caron/Laurent qui rappelle que, oui, la Commune était féministe
Il n'y a pas de clichés dans cette interprétation, pas de militantisme qui se regarde chanter, mais une lecture politique et clinique d'une révolution réprimé dans le sang qui peut encore nourrir l'époque. Ni hagiographie, ni récit historisque, mais une belle projection au cœur des barricades avec une musique explosive, joyeuse, frondeuse. Mais belle d'abord, et haletante, avec une volonté de s'inscrire dans une fougue populaire.
Ce n'est pas du rap, du slam ou de la chanson, ce sont quelques grammes de chaque produit actif qui parvient à constituer une formule explosive, souvent sur le mode revendicatif et incantatoire. On citera notamment l'incroyable travail de David Lescot et Elise Caron sur « Les œuvres », qui rythme à coup de syllabes et de scansion le programme communard qui semble toujours d'une brûlante actualité et ne s'interdit pas un peu d'humour qui fait immédiatement songer au duo ancien entre Elise Caron et Jacques Rebotier.
On ne croira pas au hasard.
« Ingénieux et intelligent » dit mon camarade citoyen Gilles Gaujarengues dans Citizen Jazz. On ne dira pas mieux. La Chose Commune est le genre de disque et le genre de spectacles qui comme le Nietzche de Archimusic ou le Profondo Rosso du Surnatural dépasse le simple cadre du plaisir musical. On se croirait souvent dans un roman de Georges Darien.
La référence, à n'en pas douter, ravira David Lescot.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...