Théo Ceccaldi & Roberto Negro - Montevago
Le duo entre Roberto Negro et Théo Ceccaldi est davantage qu'une évidence. C'est une réalité construite dans le temps, entre euphorie et patience, entre exubérance revendiquée et élégance cintrée. Dans l'imagerie de ce duo, il y a l'Italie : celle de La Scala, dont on croit voir revenir le célèbre taffetas dans « Il était une fois deux fois trois fois », qui convoque tout une sorte de réminiscences du la musique écrite occidentale du XXe siècle. Et désormais celle de Montevago, ville sicilienne, un peu plus remuante, excessive et bigarrée que son homologue du nord, sage et brillante.
Il n'y a pourtant qu'un italien ici, et du Piémont encore, c'est Roberto Negro. On se souvient du splendide Garibaldi Plop avec Sylvain Darrifourq et le frangin Ceccaldi, et c'est cette Italie là que l'on voit débarquer à Montevago. Sur « Mai juin juinjuillet juin janvier », on croirait même entendre le batteur dans la préparation du piano, et dans cette capacité à tenir un motif répétitif pour mieux le faire évoluer à petite touche, comme un mantra mouvant. Il se passe tant de chose dans le moindre mouvement que l'on croit plonger dans un univers parallèle, où la complémentarité du violon et du piano, mais aussi de leurs avatars étendus sont une seule et même parole, qui se bonifie.
Ainsi « Aiutamicristo » est une petite ballade qui tangue au grès du roulis sur les notes étouffées du piano et s'applique à garder le cap du pizzicato de Ceccaldi. C'est tout à la fois joyeux et nostalgique, comme une amitié puissante. Pas de demi-mesure non plus, on a le sentiment que rien ne peut les arrêter, que les rebondissements font partie de la route et que les virages sont le chemin le plus direct.
Il y a beaucoup de maturité dans ce disque. « Nera Nera », petite miniature très poétique est l'occasion pour Ceccaldi de jouer avec une certaine douceur, sans chercher à impressionner ou à faire parler la puissance. Negro l'habille avec douceur et simplicité, pendant qu'on s'approche à pas comptés des vestiges de la seconde école de Vienne en sifflotant gaiement.
On évoque beaucoup de souvenirs et de clins d'oeil vers l'arrière, mais cette musique proposée par les deux jeunes artistes est d'une modernité sans borne, comme le souligne le magnifique et preste « Romeo Rodeo » qui est certainement l'un des meilleur morceau de l'album. Dans une rythmique lourde et répétitive, presque susceptible de se boucler, le violon et le piano invente en direct une musique qui cherche tout autant dans l'expression traditionnelle que dans une approche très personnelle d'une forme de transe rapide et sensible au fracas.
On s'étonnera que ces deux membres du Tricollectif ne mettent pas plus en avant le collectif sur le disque ; peut-être parce que Montevago représente un désir d'indépendance, une sorte de langage commun. Peut-être également les deux individualités veulent briser une cercle où ils se sentent enfermé. Quoiqu'il en soit, Montevago est le signal de quelque chose de nouveau, un point de départ vers autre chose mais qui garde les couleurs d'un passé qui n'est pas forcément tari mais s'estompe avec une forme d'expérience.
Un disque important, quoiqu'il en soit, et qui montre une chose, absolument indubitable : Théo Ceccaldi est un grand inventeur, avec une imagination débordante, surtout lorsqu'il se confronte à un architecte tel que Roberto Negro qui s'affirme simplement comme l'un des musiciens européens les plus intéressant du moment.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...