Nathalie Darche - 15 Berceuses
On avait aimé Pétrole, disque fin et puissant, véritable pas de côté qui nous emmenait dans l’univers rêveur de Nathalie Darche. Dans Pétrole, Nathalie n’était pas seule, mais son piano, et surtout son toucher Debussyen se reconnaissait entre mille. La tentation du solo restait à venir, et voici quinze berceuses.
Les 15 berceuses sont signées de Geoffroy Tamisier ; il avait déjà signé de nombreux morceaux jouées par la pianiste. Le trompettiste, compagnon de route de longue date de l’aventure Yolk ou le disque est sorti, garde ces compositions très classiques dans leur forme comme un jardin secret. Mais est-ce étonnant de la part d’un disciple de Kenny Wheeler ? La douceur est souvent partout dans son jeu.
Elle est omniprésente dans ses morceaux, prenons « Berceuse pour Zoé » pour s’en convaincre : la main droite de Nathalie Darche décortique la mélodie comme une petite boite à musique en nacre, la main gauche est caressante, en soutien.
Un portrait de Zoé apparaît, n’importe quelle Zoé, mais la Zoé que Nathalie a en tête et celle à qui elle nous fait penser. Les images sont en ombre chinoise, les rêves de la gamine (puisque c’est une gamine qu’on berce, l’évidence est là) tournoient comme des phylactères à remplir à l’envi. Ce n’est pas rose, pas plus que bleu. Ce n’est pas guimauve ou en pierreries ouvragées… C’est suffisamment ouvert pour que l’auditeur y mette ses propres projections.
Et c’est ça qui est très fort.
On sait depuis des années l’importance –quoique trop discrète- que revêt Nathalie Darche dans les orchestres d’Alban Darche. Quelle articulation elle apporte, quelle profondeur aussi. L’onirisme qui caractérise l’Orphicube notamment doit beaucoup à son approche classique qui se plaît à ne jamais s’enfermer. A s’ouvrir, même à des instants plus turbulents, à l’instar des ostinati légèrement entêtant de la « Berceuse pour Marius », qu’on imagine facilement distrait par des idées fixes et des passions uniques et débordantes.
Ces quinze berceuses sont des rêves, les yeux ouverts. Il y a des instants, fugaces, et des images, persistantes, qui s’enchaînent et s’articulent ensemble. On pourrait penser que les rêves se ressemblent, ils sont tous différents. Il se nourrissent juste de la langueur et de la douceur de la pianiste.
Ce disque est à la fois personnel et universel. Universel car dans toutes ses berceuses, on trouve en miniature des portraits d’enfants, des instants qui les définissent, des caractères à La Bruyère. Parfois en une poignée de secondes : il faut 101 secondes pour pénétrer l’univers des rêves de Joseph, mais on en perçoit mille contrastes, une volonté de fer et une légèreté ombrageuse. 15 berceuses est aussi un disque fichtrement personnel, car il y a un seizième portrait, en filigrane davantage qu’en creux. C’est celui de Nathalie Darche, dans toute sa bienveillance.
Il y a des sourires sur chacun des visages des enfants à qui l’on fait sérénade, même lorsqu’il y a un peu de spleen. C’est un spleen de pyjama, celui qu’on a des fois le dimanche soir avant le repas et que l’école pointe son museau quand on est gamin.
La chaleur qui émane de ce disque est douce, le climat rassérénant ; c’est un disque-doudou, ce qui semble cocher les cases de la berceuse, on ne peut pas dire mieux.
Un beau disque qui accompagne et dont on ne se lasse pas.