Yves Rousseau - Fragments
Les souvenirs du lycée en musique sont primordiaux. Quels seraient les miens ? Beaucoup de choses, de découvertes. Beaucoup de musiques dans le rétroviseur, le crépuscule de Zappa et l'arrivée à maturité pop de la musique électronique. C'est le malheur des années 90, et ce n'est pas ce qu'à connu Yves Rousseau, qui l'évoque joliment dans l'important Fragments, dont la présente chronique ne pourra pas être aussi complète que celle de l'ami Denis sur Citizen Jazz.
L'érudition des contemporains.
Les souvenirs d'Yves Rousseau ont mon âge ou peu s'en faut. A l'époque, c'était Magma et King Crimson ! Du premier, j'ai les codes, du second, je n'ai rien retenu, à part le sentiment d'une grandiloquence en papier mâché (autant se faire des ennemis) et beaucoup d'emphase. Le Jazz-Rock est un langage qui s'apprivoise et peu suinter d'ennui, mais comprenons qu'à l'époque, dans la trépidence des seventies, c'était une lame de fond.
C'est de cette lame de fond dont il s'agit ; et il faut concéder qu'Yves Rousseau la traite davantage en poète sociologue qu'en fan éploré, c'est ce qui la rend très intéressante, et à tout prendre tout à fait exaltante, notamment lorsque Csaba Palotaï à la guitare et Etienne Manchon au Wurlitzer font parler les watts sur la seconde partie de "Efficient Nostalgia" où tout l'orchestre tend vers une rage tellurique, une fracture, une brèche qui plonge tout droit dans la fébrilité de l'adolescence.
On pense à Shangri-Tunkashi-La, bien sûr, mais il ne s'agit pas d'un travail de relecture, comme l'était le disque de Mederic Collignon. Il s'agit d'un disque très personnel où la basse pérégrine, et où le matériau est inédit ; Rousseau retranscrit l'époque qu'il a vécu avec une mémoire pointilliste, habillée de ses propres atours. Il le fait avec un orchestre très soudé où l'on aime les individualités comme Jean-Louis Pommier au trombone ou Thomas Savy à la clarinette basse.
Fin et puissant, Fragments est une sacré surprise de chez Yolk qui donne un jour neuf à toute la musique électrique des seventies. Une sacré sortie de chez Yolk qui s'écoute avec le goût d'y revenir. Même si ce n'est pas ça qui me donnera envie de réécouter du Robert Fripp !
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...