Richie Beirach - Impressions of Tokyo
Après avoir visité Paris, New York et surtout Excelsior, la collection Jazz and The City continue l'exploration des villes de coeur des pianistes de jazz en leur offrant l'écrin d'un solo luxueux pour évoquer les dédales urbains ou les cités riantes de la jeunesse. Une idée qui aurait pu virer très vite à la démonstration, mais qui étonne, de sorties en sorties par la rigueur et surtout la qualité des soli enregistrés.
Il fallait passer après Watson et Carrothers, qui avaient tous deux mis la barre très haut ; autant avouer tout de suite que je n'attendais pas grand chose du solo de Richie Beirach, le compagnon de route de Dave Liebman étant pour moi trop associé à ce son ECM que je ne porte guère dans mon coeur. Je dois dire aussi que c'est vraiment parce qu'il s'agissait d'une de mes villes de coeur, Tokyo, que j'ai été au départ attentif à ce disque. Comme quoi il faut toujours prendre garde aux étiquettes, car Impressions of Tokyo est une belle visite de cette ville magnifique, toujours très personnelle et ne versant jamais dans le dépliant touristique...
C'est la force de cette collection. La ville évoquée par le pianiste n'appartient qu'à lui. Beirach est un amoureux du Japon, et c'est avec la nostalgie de Tokyo, celle qui fait patienter le prochain aterrissage à Narita et les premières fragrance de soja germé dans les couloirs ultra-modernes qu'il compose. Celle qui fait espérer ce petit décalage nébuleux des premières heures sans sommeil dans l'agitation ambiante (magnifiquement rendue dans le beau "Bullet Train"). Celle qui vous pique au coeur quand vous pénétrez dans un parc plein d'arbre et de calme loin de la palpitation des rues ("Butterfly", où s'étire une mélodie qui pourrait accompagner le plus naturaliste des anime de Miyazaki...). Celle qui prend aux tripes quand vous pénétrez dans un temple fait de pierres immuables au milieu des écrans LCD braillards, sans que l'harmonie n'en soit chamboulée ("Rock Garden"). Celui qui n'a que tangenté cette ville parlera de Lost in Translation. C'est vrai pour "Baker San", le premier morceau, mais Beirach s'enfonce ensuite dans la ville ; soulève les rideaux des échoppes des rues parallèles et se promène dans les quartiers lointains de Taniguchi
Sous la forme de 12 Haikus musicaux, Beirach évoque un temps, un moment, une couleur, en le mêlant souvent inconsciemment à des images de films. "Zatoichi-Kurozawa", bien sur, mais aussi la félicité tranquille d'un pétale de Sakura dans un rayon de soleil avec les cordes pincées de "Cherry Blossom Time" où l'épure nerveuse de "Kabuki". On se promène de nouveau dans les rues sans nom qui passent sous les boyaux de la Yamanote. Et pour tout dire, on regarde, rêveur, les prix des billets d'avion...
Y retourner, bien sur, un jour...