Vincent Courtois Quartet - Live in Berlin
On appellera ça une ligne éditoriale si bon vous semble, mais après avoir évoquer l'EP de Jeanne Added chez Carton, j'ai voulu approfondir l'écoute de ce Live in Berlin du Vincent Courtois Quartet où émarge la chanteuse. Ce disque, sorti sur le label -parcimonieux mais toujours réjouissant- de la célèbre salle francilienne du Triton est sorti dans une relative discrétion qu'il convient de corriger au plus vite.
C'est déjà le Triton qui avait enregistré "What Do You Mean By Silence", l'album de ce quartet où les traits de trombones incisifs d'Yves Robert ont remplacé Marc Baron. Un changement qui apporte une épaisseur supplémentaire, qui permet d'aller visiter des sons plus contemporains, notamment dans un morceau comme " We Needs Me", reprise pétrie d'électronique d'une chanson d'Harry Nilsson, l'âme damnée de Phil Spector. Car le jazz très contemporain de ce quartet, entre improvisation libre, rock de contrebande et électronique vindicative ne choisit pas, en toute conscience et trace sa route, libre et créatif.
Cette formation, qui a enregistré ce live en 2010 lors du festival Jazzdor de Berlin regorge d'improvisateurs géniaux. Du jeu très coloriste et toujours extrêmement musical de François Merville, plus percussioniste que batteur, jusqu'à l'inventivité de chaque instant de Vincent Courtois, le propos est très riche, tant dans sa palette timbrale que dans son énergie. Si la ligne de force entre Courtois et Added constitue le base de ce quartet, les échanges entre le violoncelle bardé d'électricité de Courtois et le jeu très sec de Robert est très intéressant. Dans un morceau comme "Toma 24 lignes", le souffle du trombone et les chimères électroniques qui transfigurent le violoncelle en une guitare hurlante, le tout porté par une batterie impeccable tutoie la musique contemporaine. Il est intéressant de le voir évoluer peu à peu vers un groove teinté de Funk dans lequel les notes tenues de Jeanne évoquent ses prestations dans le Bruit du [Sign]. Le travail de mixage de Gilles Olivesi n'y est sans doute pas étranger.
Ce quartet permet également à Jeanne Added de faire la synthèse entre cette voix-instrument ("Céline, où le violoncelle redevenu organique se confond à sa voix...) et ce goût affirmé pour les mots et la poésie qui se confirme de disques en disques. On en aura la double confirmation avec "Faible et faiblissant" et "I Carry your Heart", deux morceaux où Jeanne Added se surpasse. Le premier, tiré des allitérations élégantes du poètes Louis-René des Forêts, expose un ostinato évocateur d'émotion qui dans son ton comme dans sa scansion rappelera "Ou va cet univers" de Léo Ferré que Jeanne transcendait dans le Poète, vos Papiers d'Yves Rousseau. Quant à "I Carry Your Heart", il est en passe de devenir le gimmick de la chanteuse. Il est intéressant de suivre ses orchestrations de Yes Is A Pleasant Country jusqu'à son disque Carton, entre recueillement et éther électronique. La version du quartet de Courtois relève le texte sous une autre lumière qui créée un relief plus impénétrable.
Le quartet, né d'un clin d'oeil à John Greaves (Courtois faisait partie de son trio avec Sophia Domancich) se nourrit de l'élégance "canterburyenne" de l'ancien bassiste d'Henry Cow, qui a aussi enregistré avec Added un magnifique disque (Verlaine, en 2007). Des trois chansons reprise ici par le quartet, on notera "Between The Bliss" et ce violoncelle capiteux et magique qui sonne comme un vague à l'âme.
Une belle rencontre.