Bloc-note
Hier, pendant que ma fille s'évertuait à faire communiquer ensemble une poupée et un cochon de ferme de marque playmobil en tenant un discours d'une rare intensité dans un babile encore incertain quoique de jour en jour plus précis, je lisais le très beau livre "Jack London photographe" qui regroupe des photos de ses voyages et de ses reportages. Parmi eux, ces photos de l'East End en 1907 qui a donné le livre "Le Peuple d'en bas".
Incroyable comme ces photos qui ont cent ans paraissent d'une glaçante modernité ; car pendant que les pythies de bimbloteries nous jouent la scène de la dégringolade et de la crise-dans-le-poste, les soupes populaires se ressemblent. Dans le texte qui représente ce reportage, je découvre une citation de Jacob Riis, un journaliste américain d'origine danoise qui fit un travail sur les relégués du rêve américain : "Formulons-le ainsi : vous ne pouvez pas laisser les hommes vivre comme des porcs quand vous avez besoin de leur suffrage d'homme libre ; c'est dangereux. Vous ne pouvez voler à un enfant son enfance, son foyer, son bien-être et compter sur son humanité quand il sera devenu électeur"... J'aimerai pouvoir lui dire, cent ans plus tard, qu'il a raison et que l'histoire se répète foutrement...
Mais non, plutôt non. Il y a plus retors : la non-adhésion et le dégoût de la politique, tellement plus efficace pour voter entre-soi. Je regardais encore avec amusement il y a 10 ans les "Don't Forget to Vote" manuscrits sur chacune des pochettes de Zappa... On y est arrivé ici aussi et il me manque d'autant plus fort...
Pendant que Les Mothers of Invention hurlent "Billy The Mountain" dans le séjour, accompagnés de dandinements satisfaits de la progéniture m'enjoignant à penser que les chiens ne font pas des chats, quelques rédactions enfiévrées sont en boucle sur l'évaluation d'un cabinet d'expert-comptables encravatés et sèment la peur. Marrant comme il me semble à la fois que ce qui se passe est gravissime et en même temps absolument dérisoire. Dérisoire car on sait depuis tellement longtemps que ce système est autophage que c'est amusant de le voir finir de se bouffer les mollets. Inquiétant parce que le Yalta de café-concert qui se joue touchera les spectateurs hébétés avant d'emporter les comédiens. Les évènements dictés par des experts aussi crédibles qu'un arbitre de patinage n'angoisseront que ceux qui rêvent encore d'une démocratie où l'on peut encore s'élever ; les autres, au fond, savent...
Savent que la casse va continuer quoi qu'il arrive, qu'il va falloir se battre mais qu'au fond la ritournelle nous anesthésie tous à différents degrés. Reste la musique, les livres et la transmission comme derniers sports de combats un tant soit peu pacifiques...
Après...
Parler culture et émancipation dans cette résignation donne parfois le sentiment d'attaquer une banque au pistolet à bouchon ; voir des scènes de liesse dans la rue et des postures d'acte politique pour un marchand de téléphone en dit long sur le boulot à faire. Le Hold-up qui se fait devant nos yeux nous laisse à la fois sans voix et avec cette impression -est-ce de l'espoir mal planqué- que ce système ressemble à celui de Erich Honecker en 87 ; de Daladier en 38, les jours maussades. Parler de culture quand des ministres parlent de baisser les salaires et de sucrer une semaine de congés, ou quand des usines crèvent, on pourra trouver ça indécent. Mais chacun se bat avec les armes qu'il aiguise le mieux et c'est au contraire un bel outil de résistance. A condition bien sur de ne pas le brader au premier miroir aux alouettes venu. Il parait que le A perdu qui fait pleurer les éditocrates coûtera au pays le prix du ministère de la Culture... Dire que le bouclier fiscal de madame Bettencourt coûtait le prix de trois festivals d'Avignon ! Je crois qu'il faut lire la magnifique tribune de Pierre Sauvageot pour bien comprendre les enjeux... "Pour que l'Art soit utile, il ne doit pas être utilisé", dit-il. Mieux, il doit être libéré.
Comme nous tous, en fin de compte.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir. Sans doute.