Tambours de la renommée
Je n'écoute plus jamais France-Inter, préférant au factuel des poulets de Loué, la quiétude et le temps laissé à la réflexion de Culture. Question d'âge dit-on ; de changement radical d'Inter, plus surement. C'est ainsi que ce matin, je n'ai pas entendu Luc Ferry pérorer. Pour la raison précitée, mais également pour d'autres : étant de la France qui se lève tôt, je suis à cette heure là au taf... Et puis parce que la simple idée de me fader Luc Ferry en direct un matin, il y a de quoi me rendre chafouin pour le restant de la journée -et de rendre difficile la digestion des petits gâteaux au sarrasin pris au petit déjeuner.
Bref.
Je n'ai pas voulu sur ce blog rentrer dans la blême polémique du triste Guéant sur les civilisations ; d'abord parce que la réponse du Député Letchimy se suffisait à elle-même et était parfaitement proportionnée. Et puis de toutes façons, il n' y a guère besoin de Relativisme pour comprendre que, pour Guéant, le service était commandé par la soif électorale...
Ce matin sur France Inter, il y avait Luc Ferry. Luc Ferry porte beau. C'est un peu un BHL qui aurait fait des études. Il ne m'a pas fallu longtemps pour retrouver l'extrait où Luc Ferry revient sur l'épisode civilisationnel avec l'air du philosophe détendu qui analyse sans passion. C'est une posture qu'il tient bien, notons-le, tout comme d'ailleurs l'exercice du name-dropping de philosophes. Ca a le mérité d'impressionner l'automobiliste et d'éclairer les feux rouges. Certes, il a la vanité de s'écouter un peu parler, comme le disait Morel, mais on le lui passera. C'est la déformation professionnelle des penseurs télégéniques.
Et puis soudain, la faute de goût.
Ce moment un peu gênant ou le sémillant philosophe se transforme en personnage Flaubertien et qui troque sans le vouloir, à force de lutter contre sa propre nature, Levi-Strauss et Habermas pour Bouvard et Pécuchet. Cette phrase qui s'échappe, et même qui reviendra: "les œuvres de Wermer ou de Mozart sont supérieures aux tambours Guayaki".
La boulette.
A partir de ce moment, on a envie de lui parler esthétique doucement, presque avec une gentillesse impitoyable. Lui expliquer qu'il ne faut pas confondre l'instrument et l'usage, lui révéler l'histoire des musiciens qui transcendent les instruments traditionnels pour créer des musiques sophistiquées. Lui raconter l'histoire de la musique et l'importance des mouvements et des échanges musicaux entre civilisations, l'histoire de la Route de la Soie, l'influence de la polyrythmie africaine sur les musiciens contemporains et des luthiers d'Ispahan sur la musique ancienne florentine. Lui susurrer la rencontre presque fortuite de Debussy et de Satie à l'exposition Universelle de 1889 à Paris du Gamelan javanais qui changea à jamais leur musique. De lui conter l'histoire de Kodaly et de Bartok qui collectaient les danses et les chants traditionnels des paysans hongrois pour immerger leur musique...
Ah mais non, me direz-vous. Les paysans hongrois sont la même civilisation que les princes de l'empire, comme les marins bretons et les bergers sardes le sont de leurs suzerains... C'est là que le raisonnement du brillant philosophe prend l'eau comme une croisière de rêve dans les eaux territoriales toscanes. Et qu'il révèle son côté absolument Classiste.
"Les œuvres de Wermer ou de Mozart sont supérieures aux tambours Guayaki", nous dit-il. Il n'a sans doute rien contre cette ethnie du sous-continent américain dont je n'ai trouvé nulle trace de tambours particuliers, mais l'esthétique du philosophe, partant d'un constat purement personnel -il aime Mozart- juge en terme de qualité esthétique pure sans prendre en compte la dichotomie entre traditionnel et savant. Cette même dichotomie qui existe entre les chants traditionnels hongrois et leur transcendance par Bartok. En comparant deux choses incomparables, non pas en terme de qualité, mais en terme de valeur, il fait preuve, au pire d'une grande malhonnêteté, au mieux d'une méconnaissance totale. D'autant que les influences des génies proclamés sont variables et vont chercher parfois dans les arts les plus bruts. Ce ne sont ni les Surréalistes, ni les musiciens actuels qui cherchent à interroger les différentes formes d'improvisations qui permettront de prouver le contraire...
En réalité, pour filer la métaphore Flaubertienne, Ferry se comporte en disant cela comme le pharmacien Homais de Madame Bovary, si fier d'aller à l'Opéra contempler sa Culture et sa prospérité de bon bourgeois. Ah, Mozart... Cela vaut tellement mieux que ces musiques rustaudes ! Peu importe qu'elles soient celles de Guayaki ou des pygmées Aka ! l'important en cela comme en tout est de se contempler si supérieur...
C'est si touchant de voir Luc se transformer en Jules.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...