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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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18 novembre 2012

Orchestre National de Jazz - Piazzolla!

Avant toutes choses, et pour être tout à fait honnête, à la différence de mon intarissable camarade Diane Gastellu qui a fait une critique délicieuse de ce présent disque pour Citizen Jazz, je ne panne absolument rien au Tango.
Pour autant, je n'irai pas ranger cette musique sur la même étagère que le reggae, puisque contrairement à ce dernier, la musique argentine ne me colle pas de migraines doublées d'accès de violence. Non, le Tango, comme le Flamenco -je sens venir à moi les caillassages-, me laisse totalement froid. Un prestigieux ennui m'étreind -de nuit, évidemment- sans que je puisse distinguer le bien du mal. Une question de schéma corporel, parait-il.
Enfin Bref.
C'est pourquoi quand l'Orchestre National de Jazz de Daniel Yvinec a annoncé Piazzolla!, nouveau spectacle et troisième album de cet orchestre, j'ai d'abord eu un sentiment mitigé ; l'ONJ avait frappé très fort avec ses deux premiers albums, autour de musiques qui m'étaient chère, et je ne voyais pas où voulait en venir le directeur artistique de cette fine équipe. Il y avait bien la présence de l'arrangeur Gil Goldstein dont le CV est impressionnant (Pat Metheny, Lee Konitz et surtout Gil Evans dont on perçoit l'influence). Excitante idée de l'imaginer livrer sa vision des morceaux d'Astor Piazzolla -dont, soyons honnête, je ne connaissais avant cet article presque rien, sauf qu'il nourrissait à son corps défendant le répertoire d'accordéonistes de jazz prétentiards et pénibles...-, mais je restais cependant dubitatif.
C'est bien de se faire balader par Yvinec...
En mettant l'album sur la platine, on retrouve un univers connu. Un son. Un timbre familier ou plutôt une multitude.
La palette dont dispose Yvinec et Goldstein avec ces dix musiciens magnifiques est quasi infinie. L'ONJ dessine une musique enlevée, aérienne, veloutée. C'est du tango, mais en même temps c'est comme s'il n'y en avait pas un gramme. Evacuée, la passion musculeuse et les rodomontades. On ne garde que l'essence, le génie mélodique de l'argentin. On retrouve ce son très produit, travaillé en studio qui est celui de cet ONJ. Certains le qualifie de froid ; c'est une erreur. Ce son est posé, ouvert, travaillé avec beaucoup de raffinement. "Une revanche de studio, un disque pour ceux qui aiment les disques" avais-je dit pour Around Robert Wyatt.
Je réédite, avec jubilation.
Le point d'exclamation qui enlace Piazolla au mépris de toute règle de typographie n'est pas principalement représentatif de l'urgence et de la fougue. Il est avant tout celui de la surprise.
Dès "Chiquilin de Bachin/Balada Para Un Loco" qui ouvre l'album après cette pastille d'archive, décidément la marque de fabrique d'Yvinec, on découvre une musique qui ne touche pas terre, portée par une production luxueuse (Merci Darley et Olivesi !) et un quintet de vents. Au centre de ce dernier, le flûtiste Joce Mienniel, décidément l'une des grandes révélations de cet orchestre.
Il y a dans Piazzolla! un travail d'orfèvre, des subtilités qui jaillissent à chaque nouvelles prises de paroles. Ces petits détails s'engouffrent dans la pâte orchestrale comme le ferait l'air chaud dans une montgolfière. La clarinette basse d'Antonin-Tri Hoang, le baryton de Metzger tout contribue à scénariser un propos très cinématographique, le tout porté par les nappes de guitares de Pierre Perchaud et le travail aux claviers de Vincent Lafont. Tous deux, ils guident la narration, accompagnés des magnifiques lignes de fuite confectionnées par Eve Risser.
Avec le travail d'arrangements de Goldstein, l'ONJ a une liberté folle et beaucoup d'intelligence ; il y a des citations, des clins d'oeil savamment distillés. Ce qui frappe, au fil de l'écoute c'est la clarté des timbres et leur richesse. Il suffit d'écouter "Adios Noniño", le solo agressif d'Antonin-Tri Hoang et la fin crescendo du morceau pour s'en convaincre.
A ce titre, "Tres Minutos Con La Realidad", au pivot de l'album est un feu d'artifice. On perçoit, en quelques instants, l'influence de Gil Evans sur l'écriture. C'est assez marquant lorsqu'intervient le solo de Sylvain Bardiau.
C'est à ce moment là sans doute, que le dessein de Daniel Yvinec pour cet Orchestre National de Jazz prend tout son sens...
Voici 25 ans que cette institution cherche à établir une continuité, un son, une représentation qui est à la fois celui du jazz européen et de son alter-ego américain. Voilà 25 ans que d'aller-retour en revirement, l'orchestre court après, ou à rebours de, la statue de Gil Evans. Il participa même un peu à la cuvée Antoine Hervé... Mais c'est peut-être la première fois sans doute, et alors qu'il n'en est pas fait mention, que sa musique est la plus présente. En bientôt six ans de mandature, Yvinec a considérablement fait évoluer l'institution. Il l'a réveillé tout en s'inscrivant dans une continuité, et en raccrochant les wagons de sa tumultueuse histoire. Ce disque, dans la continuité des deux autres, est la traduction de tout ceci.
De la plus belle des façons.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

07-Building

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