Bill Carrothers - Love and Longing
L'année passée, quasiment jour pour jour, nous évoquions en ces pages l'un des plus beau solo de piano de ces dernières années avec le Family Life de Bill Carrothers. La force de la musique de ce pianiste tient finalement en peu de choses, mais elles sont essentielles.
Carrothers raconte magnifiquement les histoires, et celles-ci sont belles. Carrothers parle de sa famille, mais ce n'est jamais ennuyeux et anecdotique. Carrothers décrit des lieux, et le moindre détail devient merveilleux. Se teinte de couleurs magnifiques. Le toucher du pianiste, c'est une sorte de filtre intime vers une douceur universelle.
C'est un peu magique, puisque ça marche à tout coup.
Dès les premières notes de "Love" et cette progression douce et brisée qui ouvre Love and longing, son nouvel album paru sur le Label La Buissonne, lié au studio de Pernes Les Fontaines avec lequel il entretient là aussi une fidélité remarquée, on entre de nouveau dans ce doux univers à la fois affirmé et fragile, ce bonheur inquiet qui constitue la licence poétique du pianiste.
Autant le dire, on s'y sent bien...
Soudain, sur "Mexicali Rose", bluette assumée et datée que le chanteur de charme Nick Lucas popularisa dans les années 50 déguisé en mariachi langoureux, on entend la voix de Carrothers qui s'accompagne. C'est une surprise.
Il n'est pas chanteur, certes, et restera pianiste ; mais alors qu'on avait l'habitude d'entendre sa femme Peg intervenir vocalement dans leurs disques en commun (on pense notamment à Armistice 1918), la voix de Bill s'en tenait au marmonnements et autres chants intérieurs qu'on percevait dans ses enregistrements, toujours très proche. Et très physique.
Ici, le chant est avant tout un marmonement signifiant qui ne change pas la structure du discours de Carrothers. Quand il chante "A Cottage For Sale", il y a la même mélancolie, le même temps suspendu que dans ses autres disques très intime ; le silence y est à la fois pesant et ouaté. Comme des souvenirs heureux à en devenir maussade. Une peur de cette ombre qui pourrait venir et qui définit à merveille la nostalgie.
Et puis au fur et à mesure, après un "Love-Peg" sans parole presque lunaire, on se prend à se laisser aussi porter par la voix, qui prend elle aussi de l'assurance. Les ténèbres de "So In Love" de Cole Porter et la tendre scansion de " The L & N Don't Stop Here Anymore" ont cette souplesse dégingandé qui colle parfaitement à la musique du pianiste.
Ce sera sans doute un barbarisme, mais à certains moments, notamment dans ce morceau de Jean Ritchie ou dans "Trade Winds", on peut rapprocher la voix de Carrothers de celle de McCartney à la période Wings. Pas dans le timbre ou dans la technicité, mais dans cette espèce de douceur traînante, nonchalance ombrageuse qui sied parfaitement aux teintes sépia...
C'est ce qui rajoute un peu plus de charme à un album peut être moins flamboyant que Family Life, mais qui ajoute une familiarité à l'émotion. On ne s'en lasse pas.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...