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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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22 mai 2016

Laurent Dehors - Les Sons de la Vie

Il y avait longtemps que nous n'avions eu des nouvelles de Laurent Dehors.
Trop.
Comme si après avoir fendu l'armure comme il l'avait fait dans les Chansons d'Amour avec Matthew Bourne (2012, quand même !), il avait fallu reconstruire la carapace. Renouer avec le Dehors rieur et un peu provocateur. Le Laurent de Tous Dehors, celui qui fait danser avec une clarinette contrebasse tout en picorant dans les airs d'opéra. Pas le Laurent Dehors qui fait pleurer "La Vie en Rose" avec son pote pianiste Matthew (et il en a peu, de pianiste, autour de lui).
Il se trouve qu'ici, on aime les deux Laurent Dehors.
Parce qu'en fait, il n'y en a qu'un.
Ca tombe bien, il est tout entier dans ces Sons de la vie, première sortie de Tous Dehors sur le label Abalone de Regis Huby. Il nous manquait, Laurent Dehors et sa bande rapprochée, le guitariste Denis Chancerel, la clarinettiste Catherine Delaunay, le tubiste Bastien Stil, le percussionniste Jean-Marc Quillet... Bref, toute cette bande de rouennais d'origine qui nous enchante depuis si longtemps. Il manquait, parce que sa musique est indispensable, parce qu'il va chercher dans des recoins bien trop souvent délaissés: à la fois très savant, très dense, mais qui sait dans le même temps envoyer du lourd.
Lourd sans que ce soit gras, lourd sans que ce soit indigeste, juste parfaitement jouissif, avec des guitares électriques qui tonnent, dont celle de Marc Ducret invité ici et qui enflamme la poudre et des saxophones chauffés à blanc.
C'est tout le propos de "Disco", petit bijou signé Dehors comme il ne peut en exister rarement nulle part ailleurs. Partout, il y a un équilibre parfait entre la dérision et la rigueur, entre le groove belliqueux suffisamment hâbleur pour qu'on ait le sourire et un travail sur les timbres et les contrepoints d'une grande finesse. Il est très difficile d'extraire un exemple, tant on a le sentiment que ça pétarade dans tous les sens, mais on pourrait citer ça et là quelque pas de deux qui s'extraient de la masse : Quillet et Dehors, Gérald Chevillon et Frank Vaillant... Des vagues qui servent à nourrir un propos collectif revendiqué.
Effectivement, ça envoie du lourd, si on n'a pas envie de gigoter, c'est qu'on est mort ou peu s'en faut. Ce qui n'est pas une bonne idée lorsqu'il s'agit de se plonger dans un disque qui suit le cycle de la vie "du premier jet au dernier souffle". C'est en tout cas ce que Dehors voulait faire lorsqu'il avait créé ce spectacle avec l'Orchestre de l'Opéra de Rouen. Ici, point de classiqueux de stricte obédience. Que des multi-instrumentististes musicalement polyglottes.
C'est bien d'envoyer du lourd avec une machine aussi huilée que Tous Dehors. Lorsque sur le disque  démarre "Wendy", chaos parfaitement organisé à la clarinette contrebasse où s'échappe des riffs pugnaces de ses deux lieutenants saxophonistes, Gerald Chevillon et Damien Sabatier, on retrouve le Tous Dehors acrimonieux mais euphorique, celui qui aime le rock à satiété mais ne s'en contente pas ; Laurent Dehors aime les frères Brecker, on le sait (on l'entend !). Mais heureusement, il n'aime pas que ça.
Et la force de Tous Dehors comme la force de ce disque, c'est d'utiliser la puissance de feu comme une sorte de pudeur. Après "Wendy", il y a "La course des spermatozoïdes", d'apparence désordonnée mais très maîtrisé, où Marc Ducret fait merveille tout comme le jeune Gabriel Gosse lui aussi à la guitare. Après "Disco", il y a "toi", souffle languide où tout les les soufflants entament une tournerie légère autour de Dehors qui ouvre de nouveau un peu son coeur en compagnie de Bourne.
On ne se refait pas.
Tous Dehors fête ses vingt ans. Ca pourrait être l'insouciance, c'est la maturité. Ce disque est l'occasion de se rappeler au bon souvenir de chacun... Et de quelle façon ! C'est dans "Encore un peu" qu'il nous révèle son message intrinsèque, le souffle d'espoir qui s'échappe du piano de Bourne et de la batterie de Vaillant, toujours aussi pétulante : toujours aller plus loin, toujours relancer la machine. Reprendre son souffle et danser dans le chaos des basses. Danser jusqu'à de nouveau tomber. Puis se relever et redanser porté par les trois guitares aiguisées comme des lames. Danser même face à la camarde, jusqu'au dernier tintement étouffé.
Aimer la vie, en quelque sorte. Ce que Laurent Dehors fait. Intensément.

05-Laurent

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