Le GrandFouBand - Au Septième Ciel
C'est un projet un peu fou. Enfin plutôt, Grand Fou, que ce disque enregistré en février dernier et paru sur le Petit Label de Caen. C'est l'histoire d'une famille : famille de l'improvisation française, famille soudée où du petit dernier -le guitariste Augustin Brousseloux- jusqu'au plus ancien -Sylvain Guérineau, je ne crois pas me tromper-, on défend avant les timbres et leur spontanéité. Où l'on joue ensemble avant toute chose sans chercher à pousser l'autre dans ses retranchements. On joue avec l'espace, avec toutes les combinaisons possibles sans chercher à singer quoi que ce soit ou s'inscrire dans quelque courant porteur.
On joue, et c'est Fou.
Et quand c'est fou, souvent, c'est Foussat (c'est fou, ça...)
Dans cet orchestre de dix-huit improvisateurs, Jean-Marc Foussat est au centre ; il ne réclame pas le leadership d'un orchestre sans hiérarchie pyramidale, mais il est le détonateur de cet inépuisable combustible que représente l'improvisation collective. Dans cet orchestre, il joue de l'électronique et de la voix tout comme MariaLuisa Capurso avec qui il a récemment enregistré un surprenant En Respirant ; mais il est tellement présent depuis de nombreuses années au cœur de cette scène, aux manettes face et sous les projecteurs qu'il détienne les clés de cette auberge espagnole intitulé Au Septième Ciel... Quelque chose de transcendant et d'impalpable, on ne saurait trouver meilleur définition que celle-ci à l'improvisation en général, mais cette pièce unique, de près de trois-quart d'heure respecte aussi ce cahier des charges.
Il y a plusieurs cycle dans ce morceau. D'abord un maelström de cordes, et elles sont nombreuses, d'un monde en gestation dont s'échappe crissements et souffles. João Camões à l'alto s'embobine dans le violoncelle de Soizic Lebrat. Tout ceci est parsemé d'électronique, perclus mais jamais boursouflé. L'orchestre avance en nappes, sans prétentions solistes. De la masse, s'extrait quelques individualités, mais c'est toujours pour rassembler et épaissir le propos commun : les clarinettes de Jean-Brice Godet qu'on retrouve forcément ici. Les ombres nécessaires de son collègue contrebasse Jean-Luc Petit qui donne du relief. Les brisures d'accordéon de Claude Parle. Et bien sur la contrebasse pleine de bois et de heurts de Fred Marty que l'on entend craquer ça et là, comme un navire fantôme qui errerait sur une mer de sons, certain d'arriver à bon port.
Et puis il y a les voix lointaines, comme à travers une longue salle des pas perdus hallucinée. Les limbes ? Elles embrument les cordes triturés du piano de Xavier Camarasa, du MilesDavisQuintet!. Elles glissent sur le trombone d'Alexis Persigan qu'on n'avait vu chez Ducret. Elle s'arriment à la frappe de Makoto Sato dont les tambours semblent peuplés d'esprits.
Il y a enfin la plénitude collective, celle qui est presque immobile, à la manière du Aum Grand Ensemble dont certains membres sont aussi. La musique libre du GrandFouBand n'est pas celle du cri et de la rage. C'est celle de la vague inéluctable, qui emporte par la palette entière de ses couleurs, souvent tachiste, parfois fauve, mais toujours belle.
On ne pourra pas dire qu'il y a tout le monde sur ce disque. De la même façon qu'on n'énumérera pas ceux qu'on y pensait voir. Mais c'est un bel ouvrage que cet orchestre-ci. Il dit beaucoup de l'étonnante richesse de cette famille. Une richesse nécessairement immatérielle...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...