Earth Tongues - Ohio
Ce sera, sans doute, dans nos musiques et sur ces pages l'une des tendances les plus marquantes de l'année 2016.
On hésite à dire la naissance (ce qui serait ridiculement faux), mais plutôt la confirmation et l'accélération d'une famille créative qui autour du batteur Carlo Costa, Pascal Niggenkemper, Frantz Loriot, Jean-Brice Godet ou Dan Peck visite des contrées arides et marquées par le dénuement des effets.
Plusieurs labels témoignent de cet essor, à commencer par Ruweh Records dont nous parlions il y a peu avec le disque de Raphaël Malfliet. L'un des plus emblématiques restent néanmoins Neither/Nor, animé par Costa dont Strata, le disque de l'Acustica, reste l'un des modèle du genre : une musique où la tension ne s'embarque pas dans une violence incongrue mais sait s'autoriser des emballements sporadiques. Un propos qui cherche dans le son brut tout les spectres des émotions Un son qui est marqué par l'utilisation étendue des instruments, jusqu'au marges dépassées du silence.
On l'avait noté avec Strata, l'axe qui unit le trompettiste Joe Moffet, qu'on a déjà vu avec Peter Evans ou Joe Morris, le tubiste Dan Peck, un habitué des albums d'Ingrid Laubrock ou d'Anthony Braxton et donc de Carlo Costa. Un axe sur lequel les deux soufflants sont autant rythmicien que Costa dans la recherche du moindre cliquetis, du moindre bourdonnement pour nourrir un son très naturel, sur le qui-vive.
Un axe qui porte un nom : Earth Tongues, celui de leur trio, qui fait vivre OHIO. Ce double album est un amalgame riche et perturbant de sons d'apparence incongus qui viennent se marier au gré de l'improvisation.
Voici deux longs morceaux de plus de 40 minutes, chacun sur un disque qui viennent nourrir une idée directrice, celle d'une musique rendue à l'état de nature. Une nature sauvage, hostile souvent, qui nous rappelle que c'est souvent dans l'infiniment petit que les surprises sont les plus triviales.
Dans le premier morceau, la trompette de Moffett cherche dans un balbutiement de souffle à éroder toute la richesse sonore des objets et des futs de Costa. Le son se répète, se perpétue même dans une sorte d'obsession intranquille qui nous projette dans un vortex où les vagues sont rarement plus violentes que les précédentes, mais recouvrent quand même l'imaginaire de l'auditeur attentif qui se doit d'être aussi concentré que les improvisateurs.
Cette musique libre et indomptable n'a pas besoin d'être rageuse. L'Ohio du trio n'est pas une indication géographique naturaliste, ce n'est pas une description de l'Etat rural. C'est simplement le lieu ou a été enregistré ce disque abrupt mais fascinant. Cette musique, elle, pourrait être de partout où le vivant à sa place.
Une belle exploration.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...