Acoustic Lousadzak - Need Eden
Nous avions quitté, si tant est qu'on quitte vraiment totalement un musicien de cette trempe, Claude Tchamitchian en avril avec un disque marquant, Traces, enregistré en sextet avec une poignée de fidèles et d'autres nouveaux venus.
L'occasion de parler des racines arméniennes du contrebassiste sans soucis du terroir, mais plutôt de l'exil ; une mise à nue splendide et poétique où s'illustrait notamment la voix de Géraldine Keller. Cette magnifique diseuse de mots et chanteuse de sons, à moins que ce ne fut le contraire, est une fidèle de Tchamitchian et notamment de son Lousadzak.
L'orchestre à géométrie variable est un fil rouge de la musique du contrebassiste. On le retrouve ici dans une version acoustique (Acoustic Lousadzak, donc) inédite et troublante, empruntant en trois mouvements aux allures de paraboles tous les chemins de traverse possible, en quête d'un paradis dont il nous appartient de dire qu'il est plus mouvant que perdu.
Need Eden, n'est pas qu'une anagramme bien trouvée, c'est un questionnement métaphysique qui habite l'orchestre et fouille assez profondément dans les atomes émotifs de notre contrebassiste.
On pensait que Traces était son œuvre la plus intime et la plus personnel. Mais ce nouveau disque paru sur le label Emouvance, dont Stéphane Ollivier a écrit les notes de pochette a raison de dire qu'ils sont à prendre comme un diptyque. Ce nouvel album va même plus loin encore dans le registre personnel.
Tout se passe comme si, après avoir fendu l'armure, Tchamitchian de retour à son Lousadzak se laissait transpercer de lumière (magnifique « Montagnes Intimes », à la fin du mouvement Eveil). Il conçoit ainsi une pièce avec une pâte orchestrale singulière et très souple qui s'appuie uniquement -si l'on fait abstraction de trompette décidément solaire de Fabrice Martinez et les percussions si humanisées d'Edward Perraud- sur les cordes et les bois, dans une démarche résolument chambriste et collective.
Dans le second mouvement, Lumière, Le morceau « Imaginer l'éternité » est enlevé et très majestueux, tout en conservant un goût pour les limbes, notamment lorsque les clarinettes de Catherine Delaunay et Roland Pinsard (ce dernier, habitué des orchestres de Régis Huby est le signe de la proximité entre Huby & Tchamitchian) mènent une envolée collective d'où s'extrait le violon de Régis Huby et le piano de Stephan Oliva.
C'est du bel ouvrage, avec un orchestre étourdissant, qui ne cède pas aux tentations individuelles. Cette pièce a, par certains aspects, la forme de lieder schubertiens, tant sur la forme que sur les thématiques, mais même s'il y a un incontournable clin d'oeil, jamais Tchamitchian ne déroge à une construction où les parties très écrites structurent des espaces où l'improvisation règne en maître pour mieux donner corps à cette recherche de jardin secret, de cet Eden intérieur et permanent (« Encore »).
Il y a certes quelques échappées lyriques (Ici les clarinettes qui sont la base de l'orchestre, là l'alto de Guillaume Roy, aux « promesses de l'aube » la guitare de Rémi Charmasson...
Mais c'est l'Acoustic Lousadzak qui parle avant tout d'une voix unique, extrêmement bien ordonnée par un contrebassiste qui s'efface au profit de ses musiciens. Stéphane Ollivier, qui fait le lien entre Traces et Need Eden parle de maturité pour ce grand musicien.
On ne saurait dire mieux.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...