Panorama classique & contemporain du moment, de BMC à NoMadMusic
Des écoutes compulsives en musique classique et contemporaine me donnent à nouveau envie de passer à l'écriture de chroniques sur ces musiques. Comme je l'ai dit déjà, je me sens moins à l'aise et en tout cas moins légitime... D'où sans doute le recours au « JE » que d'habitude je bannis. Disons que ce qui suis s'apparente plus à des notes d'écoutes sans doutes décousues, mais qui sont sincères. Le fait de recevoir depuis un an maintenant les œuvres classiques de Budapest Music Center permet de juger de la grande qualité du label dans toutes les expressions, mais vous le verrez en fin de chroniques, j'ajoute également deux disques récents de NoMad Music.
Reprenons donc la forme de ces « mini-chroniques » expérimentées en avril dernier, et délaissées depuis.
Imaginons que le Paradis soit balayé. Qu'Adam, plutôt que de trouver Eve à son goût, trop ressemblante à sa côte, lui préfère Lilith. Lilith, première femme d'Adam dans les légendes juives, fille de la nuit et de la tempête, femme libre et indépendante. Elle ne devient pas le serpent. Pas de péché originel, mais un monde où la lumière crue et les ténèbres profondes ne laissent guère de place à la tiédeur. C'est le sens de l'Opéra Paradise Reloaded (Lilith) du grand Peter Eötvös, qui paraît pour la première fois. Accompagné par le Hungarian Radio Symphonic Orchestra dans des conditions idéales, éclairés par la mezzo-soprano Annette Schönmüller qui joue Lilith, la partition d'Eötvôs est magnifique. Il y a à la fois de l'audace (de nombreuses citations, un jeu avec les bois et les percussions particulièrement fin dans le central « Eve & Adam as Migrants » qui résonne avec force dans la période actuelle) et la volonté de s'inscrire dans la lignée d'un Ligeti, qui reste, avec Boulez et Stockhausen, les grands maîtres d'Eötvös. Le hongrois est à mon sens l'une des légendes vivantes de la musique contemporaine. On peut rajouter à Paradise Reloaded une dimension politique certaine, qui n'est pas pour déplaire.
Avec le disque Végh conducts Schubert, BMC nous fait replonger dans l'histoire ; cet enregistrement avec le Camerata de Salzburg a vingt ans. Capté par l'irréprochable WDR de Cologne, on ne s'en préoccupe pas : la musique est chaleureuse, profonde, et rend surtout grâce aux quatre premières symphonies de Schubert. Ce ne sont pas forcément à elles qu'on pense lorsqu'il s'agit d'évoquer le compositeur, mais ces partitions sont sans doutes ses plus légères, celles qui permettent de juger de la noirceur qui vient. La Symphonie no. 1 est encore pleine de l'apprentissage d'un jeune homme de 16 ans ; mais peu à peu, jusqu'à cette n°4 « Tragique », on sent le trouble poindre, une dualité naître. Ces œuvres, écrites avant la vingtaine ont la plupart été jouées posthumes, mais l'on sent Végh habité par ces partitions. Ce disque constitue l'un de ses derniers enregistrements, il est mort en 97. Le violoniste et chef d'orchestre, plus connu pour sa lecture de Bartók avec le quatuor Végh livre ici une magnifique prestation. A noter tout de même que Végh comme Eötvös furent à des degrés divers des élèves de Kodály. On ne mesure pas à quel point le rayonnement du maître continue toujours à éclairer l'époque.
J'ai bien conscience que « Keur avec les doigts » peut être considéré comme un peu léger comme chronique de disque. Mais même si on va tenter de mettre plus de mots sur ce petit bonheur que constitue les Suites de Violoncelle de Britten joué par Noémi Boutin, l'essentiel est là. NoMad Music, l'un des labels « dématérialisé » les plus excitant qui soit nous offre avec ce disque un moment de liesse. Les suites de Britten, écrites à la fin des années 60 pour Rostropovitch sont virtuoses mais surtout d'une beauté absolue et sans doute trop méconnue. Seule avec son archet et son instrument, avec son seul souffle comme accompagnement tant l'enregistrement est proche de l'instrumentiste. Il y a une dimension magique à cette musique, transcendante, mais Noémi, qu'on a pu entendre avec Sylvaine Hélary, lui donne une chaleur supplémentaire. Je ne suis pas toujours touché par l'Op.72, un peu trop classique, solennel, Bachien (même si c'est d'une beauté incontournable). Mais le corps à corps que Boutin nous impose sur l'Op.80 et l'Op.87 est beau à tirer des larmes.
On termine en quelques mots avec un très bel album de nouveau proposé par NoMadMusic. Les Cris de Paris de Geoffroy Jourdain est un ensemble vocal fascinant par le spectre qu'il embrasse, de la musique Ancienne à la musique contemporaine. IT vient tout juste de sortir, et il regroupe quatre pièces de quatre compositeurs italiens contemporains. La musique jouée est palpitante, dans toutes les acceptions du terme : elle fait découvrir des compositeurs en prise avec le monde, qui s'intéressent à la réalité sociale. Ainsi, « Perché non riusciamo a la vederla » de Marco Stroppa, mélange de cris et de clameurs de toutes traditions qui s'unissent pour créer une sorte de dazibao universel qui publierai des graffitis italiens collectés sur les murs comme autant de cris. Il y a aussi cette pièce magnifique de Luca Francesconi, « Let Me Bleed », comme un Requiem pour Carlo Giuliani, mort sous les violences policières au rassemblement anticapitaliste de Gènes en 2001.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...