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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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17 février 2017

Le Grand Orchestre du Tricot - Atomic Spoutnik

Il est des phénomènes métaphysiques qui mènent aux franges de la folie. La décorporation est une manifestation de désordre psychique évident, mais c'est aussi une perception symbolique, un état créatif assez commun. La folie est un état subjectif dont les limites sont suffisamment lâche pour qu'on n'y trouve que des frontières ténues avec les artistes ; c'est un imaginaire qui aurait oublié de fermer la fenêtre et verrait s'évader son univers en expansion.
Ceci est une vision optimiste et affable de la folie.
Atomic Spoutnik, le spectacle proposé et transcrit en disque par Le grand orchestre du Tricot, l'amicale des improvisateurs du Tricollectif, et dirigé par le violoncelliste Valentin Ceccaldi est un voyage. Pas un voyage dans le temps, dans les baloches populaires et les chants réalistes fantasmés de Lucienne Boyer, comme il nous l'avait habitué, mais un voyage dans l'Espace.
Ou plutôt, un de ces voyages dans le continuum où l'Espace et le Temps sont abolis, où les différences se font ténues, où l'inconnu domine. Un Inconnu qui n'est pas sombre ou désolé, mais au contraire baigné de lumière cru et d'agitation des molécules ; Pas le Big Bang, pas un Big Band, mais un agglomérat sensible et ordonné de sons qui mis bout à bout racontent des histoires et s'inscrit dans cette lame de fond des sons sensibles, ceux du MilesDavisQuintet!, de In Love With, ou de Jean-Brice Godet, que l'on retrouve bien entendu ici.
Le très cher Olivier Acosta a raison dans Citizen Jazz de parler de peinture. Chaque détail est individuellement indépendant, et c'est dans la globalité qu'on voit l'œuvre. C'est un voyage universel qui commence par une lente prise de contact dans les interférences stellaires et se termine dans un hymne à la Liberté, avec des musiciens qui répondent présents à chaque mouvement collectif. 
Ici, à bord du Spoutnik, la poésie est de mise ; quant à la douceur, elle a laissé place à une certaine rugosité, sensible surtout dans le saxophone de Quentin Biardeau qui joue du même registre que celui qu'on avait vu dans son Trio à Lunettes ("AS II"), mais sait également servir des paradigmes très contemporains qui trahissent la grande finesse de l'écriture de Valentin Ceccaldi.
Le discret Valentin est à l'honneur. On retrouve cette façon qu'il a de décrire une scène comme s'il dissipait le brouillard au fur et à mesure, trait que nous avions déjà noté dans Marcel & Solange ou Durio Zibethinus. Qu'il soit au violoncelle ou à la basse, il étincelle.
Le propos est le voyage interstellaire, mais il n'est pas vu du côté de l'imaginaire des cosmonautes. Pas de Major Tom, pas de Cosmonauti Russi. Pas de drapeaux. Juste le vaisseau pétaradant de passion d'André Robillard, le capitaine magnifique et endimanché de cette excursion dans les tréfonds oniriques de l'univers, porté par Robin Mercier en textes et en voix qui donne un éclat zappaien à certains mouvements ("AS IV").
Robillard est de la région d'Orléans, comme le Tricollectif. C'est une des grandes figures de l'Art Brut, adoubé par Dubuffet. Il a déjà collaboré avec le Tricollectif pour une pochette de disque, avec ses fameux fusils. La société a jugé de son anormalité, mais l'Art transcende ces limites. Le disque ne nous propose pas d'embrasser cette folie avec une compassion voyeuriste. Elle nous emmène dans un univers dont Robillard est l'unique transcripteur.
Le skipper apparaît en photo sur la pochette du disque : Valentin Ceccaldi parvient à garder sans rupture sur une ligne de flottaison complexe entre scrutation et mise en scène sans voyeurisme ni compassion. Le voyageur instellaire n'est ni un sujet d'étude, ni un spectacle de Freaks. C'est le grand narrateur d'une aventure épique dans le Grand Tout qui nécessite un carburant qui se nourrit tout autant de la musique improvisée, du rock ou de la musique contemporaine et des danses populaires, parfois tout ensemble, à la manière du Tricollectif.
C'est un disque majeur.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

01-Road

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