Art Sonic - Le Bal Perdu
Les recettes qui doivent marcher à tous les coups avec des auditeurs comme votre serviteur ont cela de rassurant qu'elles marchent à tous les coups. C'est rassurant, douillet, chaleureux. Le nouvel album de l'Ensemble Art Sonic s'adapte parfaitement à ce schéma, et même un peu plus.
Le quintet à vent qui nous avait tant séduit il y a un peu plus de trois ans avec leur magnifique Cinque Terre se réunit de nouveau pour faire parler les arrangements malins et les orchestrations finaudes du flûtiste Joce Mienniel et du multianchiste Sylvain Rifflet. Ils sont même plusieurs à bosser, sur Le Bal Perdu. C'est le corniste Baptiste Germser qui arrange « La Javanaise » avec un soin particulier, notamment le basson de Sophie Bernardo qui valse avec la flûte de Mienniel, accompagné du chant des soufflets de l'invité, Didier Ithursarry, décidément toujours dans les bons coups.
On l'aura compris, Le Bal Perdu, et son kiosque décati au milieu d'une forêt abandonnée est un temps passé auprès des chansons intemporelles d'une époque si ancienne et si fantasmée qu'on peine à croire qu'elle a eu lieu.
Un temps passé, pas un hommage. On rend hommage aux choses qui ne sont plus, mais peut-on rendre hommage à une mémoire collective et vivace ? Lorsqu'on écoute le magnifique « De Dame et D'Homme » de Marc Perrone, on sent bien la sève du musette qui irrigue cette mauvaise herbe qui s'accroche au cœur avec ses petites fleurs graciles.
Le morceau est comme il faut, hâbleur à souhait avec les belles attaques de flûte de Joce Mienniel et le dialogue entre les bois, où s'illustre le hautbois de Cédric Chatelain.
On aurait pu craindre, dans cet exercice périlleux de la relecture d'un patrimoine populaire par une palette de timbre iconoclaste et luxueuse, de tomber sur une attitude de faiseur. Quelque chose d'un peu guindé, où l'on voit les coutures.
Il n'en n'est rien : prenez « Papillon Noir » de Jo Privat. C'est joyeux et pétillant et l'on en oublie presque que la mélodie passe d'anches en double-anches sans ralentir. Elle virevolte avec une limpidité joyeuse. Tout est guilleret, nostalgique sans mélancolie. « La Flambée Montalbanaise » de Gus Viseur, standard s'il est des standards se donne même un petit coup de jeunesse, une gageure pour une musique qui ne peut avoir d'âge.
Au milieu de cela, Didier Ithursarry exulte. Il apporte avec son accordéon la couleur nécessaire à l'harmonie générale mais n'en rajoute pas dans la dimension populaire. Parfois, même, sur « la Ballade Irlandaise », il trame avec beaucoup de douceur un tutti du quintet qui donne une solennité bienvenue à la magnifique chanson de Bourvil.
On guinche avec le quintet et son invité en ce disant que c'était bien. Et c'était bien, « Le Petit Bal Perdu ». Ca l'est toujours, même, avec cet arrangement de Mienniel virtuose sans être clinquant. Plein d'images s'associent au disque, des images parfois troublées d'ivresse ou de moment de liesse, notamment lorsque dans « La Java des Bombes Atomiques » Art Sonic devient quelques instant un orgue de barbarie à six têtes...
L'image est très importante dans le disque ; on connaît l'amour du cinéma de Mienniel et Rifflet, il est ici omniprésent. « Allez Glissez/Allez Roulez » fait songer à un film imaginaire de Jacques Tati où chaque plan est réglé au millimètre ; on retrouve la même impression avec « Reine de Musette », emprunté à la Campagnie des Musiques à Ouïr.
Pour ce disque sorti chez Drugstore Malone, Art Sonic a fait le choix d'un procédé qui procède d'une réflexion cinématique : en gardant quelques secondes des séances d'accordage, quelques rires et quelques faux départs saupoudrés dans le disque, l'orchestre laisse un grain qui rend le propos plus chaleureux et évite de le figer.
C'est sa grande réussite : quand on est l'Art Sonic, on a raison de se fier aux vieilles dentelles.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...