Barbares - Débris d'orgueil
Lorsqu'on regarde la définition commune de Barbares, dans les dictionnaires, on peine à croire dans un premier temps qu'il s'agit des quatre musiciens qui se présentent devant nous dans un quartet qui ressemble à s'y méprendre à un all-star de Fou Records, si l'on fait abstraction du grand batteur nippon Makoto Sato qui ne dépare pas dans le paysages.
Non, ce quartet n'est pas pas « à un niveau inférieur d'humanité ». Il n'est pas « primitif », ou alors dans une acception chamanique, d'une spiritualité presque animiste, qui sacralise chaque son comme une chose vivante.
Peut-être Barbares est-il un quolibet, de ceux qui n'ont pas d'oreilles, ou qui ont le cerveau lacéré par l'inattendu et qui ne supportent plus l'émotion de se faire surprendre par la concentration extrême d'improvisateurs qui vont à l'aventure... Après tout, on appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage, disait l'autre dans les dissertations.
En tous cas celles qui ne citent que trop rarement René Char et Tristan Tzara.
Mais d'un point de vue attentif aux émotions de la musique, Débris d'orgueil ne peut-être en aucun cas barbare. Comment pourrait-être barbare l'addition de la clarinette contrebasse de Jean-Luc Petit et le trombone de Christiane Bopp ? Comment pourrait-on qualifier de barbare la grande complexité des souffles et des éclats électroniques de Jean Marc Foussat ? La mutation infinie du sopranino et de la clarinette dans les sifflements des machines exacerbé par un drumming élégant mais pressant, courtois mais diablement urgent ?
Et puis n'y aurait-il pas une cruelle ironie à proclamer Barbares un orchestre dans lequel la tromboniste s'appelle Christiane ? Surtout lorsque celle-ci, dans l'intense et long « Flèche de boussole » guide Jean-Luc Petit hors des ténèbres à raison de glissandi précis et impavides pour aller vers une lumière puissante et sauvage, où le synthi de Foussat se joue d'un écho déformé, comme passé au travers d'un kaléidoscope sonore.
C'est ouvragé et sophistiqué. Rien qui ressemble de près ou de loin à l'oeuvre de vandales.
Ou alors le barbare n'est jamais celui qu'on croit.
A l'intérieur du disque, une poésie de René Char, Au pays de la magie, confère à ce disque une autre aura. Nous sommes dans le monde de l'étrange, un univers qui a toujours été celui de Foussat. La tangente de la ligne de boussole est un pôle onirique, souvent entêtant, parfois inquiétant, notamment lorsque des voix sortent de l'éther pour mieux nous hanter et son chasser par le dense canevas qui se tisse entre Jean-Luc Petit et Makoto Sato. Enfin, pour un temps, puisque tout au long de ce Débris d'orgueil, on assiste à des cycles inéluctables et presque immuables, comme des mantras.
Débris d'orgueil est un disque puissant, abouti dans son instantanéité. Fruit de deux captations dans des lieux ouverts, accueillants, c'est la rencontre de quatre musiciens qui parlent le même langage, prônent les mêmes valeurs et sont ouvert au monde et à toutes les influences. Toute cette unité, qui n'est pas de façade, n'attire qu'une conclusion : on a rarement fait plus civilisés que ces Barbares-là. Mais il est d'usage de rappeler que les barbares d'une époque sont souvent devenus les sages du lendemain. Félicitons ces « primordiaux crépusculaires », dés lors de toutes les constructions à venir et de leurs splendide déconstruction présente !