Sarah Murcia - Eyeballing
« Moi ce que j'aime sur les disques, c'est me taire ». On serait tenté d'accompagner de vivats et d'encouragements certains, tant il est bon que la musique orchestrale ait sa revanche. Mais n'en déplaise à Sarah Murcia, et quand bien même sa chanson « Volonté avec un nuage de lait » soit d'une joyeuse ironie grinçante, on préfère quand elle ne se tait pas ; à moins qu'elle ne joue de la contrebasse et des claviers... Mais elle sait faire tout çà en même temps, ce qui a de quoi nous faire écarquiller les yeux. Eyeballing est donc le nouvel album de Murcia, avec un nouveau quartet. Il est composé de joyeux anciens, comme le saxophoniste Olivier Py et le clavièriste Benoît Delbecq qui l'accueille par ailleurs sur son label du Bureau du Son, DStream. Ce n'est pas anodin d'ailleurs si l'électronique est si présente sur cet album, paru dans la même collection que The Recycler. Sur l'excellent « Come Back Later », où Delbecq s'occupe des rythmiques synthétiques pendant que Sarah Murcia joue d'une station de basse, on rentre de plein pied dans l'univers de la musicienne, d'une façon assez directe, à la fois lumineuse et très sèche.
Le petit nouveau dans l'orchestre est aussi celui qui apporte une dimension supplémentaire. Le tubiste François Thuiller est omniprésent, et fait une sorte de lien, d'alchimie entre les acidités de l'électronique, très versées dans la pulsation, et la voix. Sur l'intense et complexe « Eyeballing », alors que le débit de la voix est proche du murmure, ou de la scansion contondante du Spoken Word, le tuba tisse des toiles de fond, des lignes quasi invisibles qui donnent à ce quartet un grand relief sur lequel les ombres sont tranchées, géométriques et parfaitement bien placées. La relation entre Delbecq et Murcia est primordiale, mais elle n'est pas unique. On perçoit chez eux une grande culture des musiques électroniques qui ne sombre jamais vers la démonstration où le goût pour une quelconque transgression. Un morceau comme « The Caretaker », où Olivier Py introduit une atmosphère de nuit d'été brûlante, en est un parfait exemple : la rythmique paraît erratique, elle est diablement bouclée. Quant à la voix elle incarne, elle réchauffe. Elle d'une douceur apaisante qui nous intime cependant de rester sur nos gardes.
Après les Sex Pistols qui marquaient chez Sarah Murcia un goût pour l'indépendance et la liberté, Eyeballing est l'occasion de chanter des textes de Vic Moan. Un autre punk, peut-être un peu plus dandy que les glaireux golems de Malcom McLaren, et qui offre au quartet de beaux terrains de jeu, à l'instar de « Inneficient », où Delbecq fait tinter son si familier piano préparé, qui dialogue avec une contrebasse au son clair, mélodieux et pleine de contraste. On pourra faire un parallèle avec la voix de Sarah Murcia, on le devra même. Depuis Caroline, mais aussi quelques mémorables vidéos pour Arte, on sait que la contrebassiste est une formidable chanteuse. Ici, et sans doute plus que jamais, elle s'affirme dans cet exercice avec évidence. « Avec moi, t'as intérêt à pas prendre d'habitude », nous assène-t-elle dans « Volonté avec un nuage de lait ». Le pli est pris, Sarah.
Et on aime ça.