C'est pas dans les salons
Il y a un peu plus d’un an, nous évoquions ici un évènement qui ne fera certainement pas date, mais qui au fond en dit long sur la déréliction boutiquière de la culture en général et de la musique en particulier. La perte de repère due au format et au changement du modèle économique créé des peurs et des tiraillements, des injustices et des crispations. C’est normal, sans doute ; mais comme souvent quand on se crispe, on se trompe de combat ou de cible.
Ainsi l’année dernière, une poignée de musiciens de « Musique Contemporaine » avait pétitionné en rond pour se plaindre auprès du ministre de tutelle de la nomination à leurs yeux illégitime d’un jazzman et d’une chanteuse à la Villa Médicis pour une année de Résidence prestigieuse. La villa romaine s’ouvrait auparavant aux seuls musiciens « contemporains ». Cette tempête dans un verre d’eau cachait finalement d’autre maux, et d’abord celui d’artistes qui ne pensent plus le monde mais le subissent en se planquant frileusement derrière des étiquettes factices qui font un mal terrible. Diviser pour mieux régner, voila le miel des Princes.
En avril dernier, à l’occasion d’un conflit assez nébuleux avec un club de jazz parisien de la rue des Lombards où comme beaucoup de mélomane je n’ai jamais foutu les pieds, n’habitant pas Paris et préférant de toute façon l’odeur des Lilas, est née la révolution de jazzmin. Ce sympathique nom s’inspire bien sur des mouvements spontanés au Maghreb et au Moyen-Orient. Au départ, la saine colère d’un musicien contre l’un de ses employeurs dans le contexte d’une grande ville semblait relever d’un conflit d’ordre personnel. C’était sans compter qu’il ne faut qu’une étincelle pour embraser le marais ; la discussion entre parisiens habitués à se produire dans ces clubs a conduit à la fronde. L’appel à des « Etats Généraux du Jazz », dans la bonne vieille tradition jacobine qui consiste à faire d'un problème parisien une problématique universelle, répondit comme un écho fortuit aux doléances romaines.
Le texte des Etats Généraux est disponible ici, et dans une certaine mesure, on peut y souscrire. Il est difficile de ne pas constater la difficulté des structures, la disparition des labels et la tentation de certains festivals jazz à se transformer en villégiature pour la Variété Internationale sous couvert de quelques superproductions Jazz fatiguées… Ce sont pour une grande part les réalités de l’ancien monde, celui où la Culture avait un budget correct. Celui où les maisons de disques n’étaient pas dans une course autophage au profit. Celui où les labels ne pêtaient de trouille pour signer un nouvel artiste de quelque chapelle qu’il soit….
Oui, le blé est sous la grêle !
Aujourd’hui, A Paris et surtout en dehors, les musiciens ont appris à se monter en collectifs, à défendre des projets auprès de multiples financeurs, à s’auto-produire dans des réseaux de distribution parallèles sur Internet ou ailleurs (voir le récent exemple de Carton), à faire appel à la souscription, à créer des petites structures, à s’appuyer sur le monde associatif… Mais est-ce un problème de jazz spécifiquement où un problème politique plus global ? C’est peut être un pis-aller, mais c’est surtout une magnifique entreprise de résistance au carcan du mainstream globalisé. On dira même que l’environnement militant, la défiance historique du jazz au pouvoir établi a permis de développer plus facilement le modèle économique de la bière d’abbaye qui est l’avenir du support physique !
Oui, la Culture de masse est abandonnée où aux marchands de soupe, martyrisée, moquée, étouffée, laissée pour morte. Oui, la côte mal taillée des SMAC qui regroupent un salmigondis de musiques tout en en excluant certaines est un problème, mais est-ce que le jazz est la seule victime ? Tout le monde sait que la SMAC est un label qui permet tous les amalgames putassiers : il a d’ailleurs été inventé pour ça. Le jazz en subit, comme beaucoup d’autres musiques les conséquences démagogiques. Mais on a pu voir récemment que quand la volonté politique est là, le jazz –et le plus radical- a sa place dans ces structures. En tirant la sonnette d’alarme sur une spécificité musicale plus que sur un autre, on obère deux problèmes globaux . Celui des Intermittents, qui est tout de même au centre de la crise structurelle et culturelle du moment, et celle du mécénat public qui ne sera pas réglé sans une hausse des subventions. Est-ce un problème spécifique au jazz ? N’y a-t-il pas danger à enfermer le jazz dans une « particularité » au détriment des autres ? Ce débat est peut être nécessaire à un certain degré, mais il contribue à l’enfermer dans une double prison.
La première est dorée : en voulant concevoir le jazz comme une musique à part, on l’enferme un oiseau rare et on le coupe de sa capacité d’hybridation. C'est-à-dire de lui-même. La seconde est plus pernicieuse et territoriale. C’est celle d’une réalité parisienne où tout se passe, surtout si l’on en sort pas… Il n’y a qu’à voir l’article de Challenges sur Jazzmin, ne citant que des clubs parisiens et faisant défiler tous les clichés pour s’en convaincre. A Lille avec Circum, à Lyon avec une myriade de structures, à Rouen avec les Vibrants Défricheurs, à Grenoble avec Forge-CIR, à Clermont-Ferrand avec les Défrichés, à Bourg-en-Bresse avec l’Arbre-Canapas et bien sur à Nantes avec Yolk, le jazz a su prouver qu’il savait s’auto-organiser sans demander au ministre de se pencher avec commisération sur l’élève Jazz à un an des élections de 2012. Surtout au nom de la crise du disque et avec comme réponse prévue la machine à Spam d’Hadopi. Le danger des étiquettes, c’est qu’elles favorisent la non-communication et le lissage des lignes budgétaires…
Une chose est sure, quand on est un crocodile, on ne va pas demander au maroquinier d'organiser des états-généraux sur le Marigot.
C’est un fait acquis que le mainstream et le lisse prennent le pas sur le créatif par des décisions politiques… Mais est-ce une simple question de jazz ou une question plus globale ? A-t-on besoin de s’allier en amicale boutiquière pour aller contre ou redéfinir globalement la politique culturelle ? On sait l’enfer pavé de bonnes intentions, et l’initiative de la révolution de jazzmin est sans doute très sincère. Comme les jazzmins ont fait leur une citation de Rosa Luxembourg, finissons, comme un conseil, par une phrase de son ami Karl Liebknecht : "Nicht Betteln und bitten nur muttig gestritten".
Ne mendie pas et combat bravement.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir.