Coffret CamJazz Anthony Braxton
Lorsqu’il y a quelques années le label italien CamJazz a annoncé le rachat des catalogues Black Saint et Soul Note, deux fers de lance romains du Free Jazz nés dans les années 70, beaucoup d’amateurs eurent les yeux pétillants devant la richesse du catalogue de nouveau disponible.C’est sous la forme de petits coffrets comprenant plusieurs sleeve discs à prix raisonnable que CamJazz a fait le choix de rééditer le parcours d’artistes majeurs auprès de ces deux labels, comme Henry Threadgill, Steve Lacy ou encore Cecil Taylor.
C’est au tour d’Anthony Braxton de faire l’objet d’un coffret de huit albums qui s’étalent sur une période étendue comprise entre 1978 et 1996, avec des formations très disparates en taille, du duo au grand ensemble de 17 pièces ! Ces disques permettent de mettre en lumière l’évolution de la conception musicale de Braxton : débutant la série par une forme de syncrétisme de la Great Black Music en duo avec Max Roach, la série se termine sur la fameuse composition 173 qui préfigure les orientations musicales du maître dans la dernière décennie, avec une écriture d’une complexité et d’une richesse époustouflante, mêlant le basson de Bo Bell et le Koto de Brett Larner dans un orchestre passionnant.
De même, ce coffret permet d’évaluer l’évolution de la structure de ses quartet des les années 80, s’éloignant progressivement de la structure « classique » du quartet Free des années 70. C’est notamment le cas avec ce magnifique « Six Compositions (quartet) 1984 » où l’on retrouve Marilyn Crispell au piano et sa fidèle base rythmique de l’époque John Lindberg à la contrebasse et Gerry Hemingway à la batterie. Il faut prendre le temps de plonger dans la « composition 110A » et les abstractions d’outre-tombe de Crispell alliées au jeu de basse de Lindberg qui s’affronte à Braxton à la flûte, ce qui n’est pas commun –et diablement intéressant !-.
Il semble inutile de faire une chronique détaillée des huit albums. Il convient cependant de revenir en quelques mots sur ce qui semble être les trois pièces maitresses du coffret, et notamment ce « Eugène (1989) » enregistré avec le Northwest Creative Orchestra. Plus encore qu’avec son Creative Orchestra de 1978, Braxton se rapproche de l’écriture contemporaine. On s’amusera à comparer les deux époques avec la « Composition 45 » ici beaucoup plus dense et collective, et qui exprime plus encore l’admiration de Braxton pour Stockhausen. Ici, la tension inhérente à ce morceau se concentre dans la basse de Forrest Moyer et le jeu de percussion de Tom Kelly et Charles Dowd qui conduit par des chemins sinueux à un groove explosif. Idem avec ce déchainement collectif de la « Composition 59 », également commune aux deux disques ; de même, il sera intéressant de comparer la « Composition 100 » avec celle présente dans un autre album du coffret « 4 (ensemble) compositions 1992 », lui aussi remarquable.
1978 est certainement l’année la plus prolixe pour Braton, notamment avec le Creative… Elle marque également le début de sa collaboration mythique avec le batteur Max Roach. Nous avions déjà eu l’occasion d’évoquer ce duo à l’occasion d’une réédition Hat-Hut en 2009, et les constatations sont les mêmes que lors du concert de Willisau ; 10 ans après « For Alto », Braxton s’est imposé comme un soliste majeur, et la rencontre avec le géant Max Roach s’inscrit dans une forme de perpétuation, de continuum temporel de la Great Black Music. Dans « Birth and Rebirth », Roach est inventif, hésite entre rage et créativité coloriste dans des morceaux plus ramassés qu’en concert. Le jeu de Braxton est véloce et peut passer en un instant de la mélodie fluette qui ouvre le morceau « Birth » à une rage soudaine, porté par les levées de batteries de plus en plus puissantes. Pour beaucoup, ce disque vaudrait à lui seul l’achat du coffret tant il est réjouissant. Il ne faudrait cependant pas faire l’impasse sur un autre joyau.
« Six Monk’s Composition (1987) » est la grande découverte de l’ensemble ; on sait Braxton passionné par les standards et la remise à plat du Répertoire de la Great Black Music. De Charlie Parker à Ellington, le compositeur s’inscrit dans une lignée à laquelle il a toujours rendu de vibrants hommages. Avec ces morceaux de Monk, et notamment « Four in one », le jeu tout en rupture du saxophoniste –ici au seul alto- trouve un terrain adéquat pour s’épanouir, et pour rendre hommage au grand pianiste dans un style beaucoup plus classique qu’à l’accoutumée qui donne un relief supplémentaire. C’est la composition du quartet qui impressionne. On retrouve une base rythmique ébouriffante constituée de Buell Neidinger à la basse (remarquable sur « Reflections ») et le batteur Bill Osborne…Surtout, aux côtés de Braxton, on trouve le pianiste Mal Waldron, saisissant et d’une classe absolue, qui renforce le son anguleux du quartet. Un disque indispensable, indubitablement.
Pour beaucoup, l’œuvre de Braxton peut sembler complexe voir absconses, par sa profusion, par son approche singulière de la matière orchestrale et par les chemins qui rendent inopérantes toute forme d’étiquettes. Ce coffret est idéal pour une entrée en matière relativement complète, et cette reissue est certainement l’une des plus jouissives de cette année 2011 !
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...