Yves Rousseau Quartet - Akasha
Parmi les héros discrets qui sont à l'origine de cet envie de blog qui s'anime depuis bientôt huit ans, il y a Yves Rousseau.
Le contrebassiste fait partie de ces bâtisseurs de nos musique qui fonde son petit bonhomme de chemin à l'ombre de ses projets, sans forfanterie ni grande publicité ; mais à chaque fois qu'un nouveau spectacle ou qu'un nouveau disque se présente, on se souvient de ce sens parfait de la mélodie. On salue ce son précis et franc qui fait de chaque attaque un rebondissement qui raconte d'autres histoires.
Il faut souligner tout de suite l'importance du récit dans les disques de Rousseau. Le cinéma, primordial dans sa musique, qui de Herzog à Tati a toujours été sujet de référence ou d'expérimentation et dont il tire un sens du rythme et de l'organisation d'un quartet immuable.
Le quartet d'Yves Rousseau est fidèle depuis le début de ce siècle et la sortie du disque Fées et Gestes. Ce premier album se découpait déjà en une série de suite dans laquelle chacun des musiciens incarnait un rôle précis dans une atmosphère chambriste. Régis Huby au violon, Jean-Marc Larché aux saxophones, les deux timbres se mêlan avec beaucoup de souplesse. Cette douceur n'empêchait nullement des virulences soudaines et des fulgurances rythmiques ou brillait notamment le batteur Christophe Marguet, qu'on a pu apprécier récemment dans Together, Together ! en duo avec Daniel Erdmann et qui mène lui-même un travail époustouflant avec Résistance Poétique.
La poésie est également le sujet de prédilection de Rousseau. Le verbe. Le mot, comme lorsque le quartet agrémenté de Claudia Solal et Jeanne Added avait visité les textes de Léo Ferré dans Poètes Vos Papiers. Sarsara, le second album du quartet s'inspirait d'une nouvelle de Le Clezio.
C'était il y a 10 ans, je le chroniquais à la radio...
Voilà donc Yves Rousseau de retour avec Akasha, qui est un mot sanscrit qui décrit la matrice de l'univers, sur le label Abalone de Régis Huby.
Où d'autres ? La musique de cet album incarne à merveille la couleur défendue par le label : une musique vivace, complexe, qui laisse beaucoup de place à la mélodie. Elle trouve sa place dans cinq suites qui exposent chacun un élément (L'Eau, La Terre, Le Feu, L'Air) amalgamés par "L'Ether", matière opaque où les quatre fondamentaux convergent dans les artefacts électriques du violon de Huby dans un élan impressionniste.
Une synthèse rêveuse des quatre autres morceaux, et un pont dressé vers les albums précédents.
La musique d'Akasha pourra sembler différente de ce que le quartet proposait précédemment, elle peut sembler plus nerveuse, plus monumentale. Elle s'attache à ses fondations, ce qui sous-tend une certaine forme de radicalité.
Tuons tout de suite tout suspense, on devine que dans ces cinq suites en huit parties, chaque musicien incarne un élément.Tout le talent de Rousseau est de les amalgamer en parfait petit alchimiste. C'est patent dans "La Terre" qui est le domaine du contrebassiste.
Sa base.
Cela commence par deux pizzicati qui se fondent, le violon et la contrebasse ; l'eau et la terre forme une pâte fine, mouvante, modelable comme l'argile. Une matière dont le violon et le saxophone de Larché sont les liants qui galvanisent un beau quartet.
Tout l'album est ainsi fluide, magique par instant tant les échanges entre les musiciens sont puissants.
Le jeu de Rousseau s'affirme sans forcer, la simplicité est émouvante. On la retrouve comme un pôle inversé dans "L'eau" qui ouvre l'album dans un flux/reflux de jazz-rock soudain où Marguet martèle une rythmique enivrante. Il y a des moments de pure jubilation, notamment dans la "Part 1", lorsqu'un drumming grossissant comme le flot emporte ses comparses sur son passage.
Les impressions qui entraînent les autres éléments sont tout aussi solidement ancrés dans un imaginaire qui tient de l'iconographie. Voire à ce titre "Le Feu" qui commence dans une atmosphère très "marguetienne", presque orientale, avant de se consumer en plusieurs flamèches de groove sur une rythmique marquée et de couver doucement dans les timbres soyeux de Jean-Marc Larché.
Il y avait dix ans qu'on avait pas entendu un album du quartet d'Yves Rousseau ; il vient dès février de s'inscrire dans le cercle restreint des albums de l'année. Pourvu que pour le prochain, l'attente sera moins longue...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...