Théo Ceccaldi & Roberto Negro - Babies
Chacun a son comportement propre face aux bébé. Certains les tiennent en sainte horreur, armés de phrases faciles à la WC Fields. D'autres sont gâteux et trouve magnifique jusqu'à l'excrétion glaireuse, quelle qu'elle soit ; aucun de ceux-là ne les regardent vraiment.
Quiconque a déjà vu des bébés le sait très bien : ok, il y a la mignonnerie du sourire humide devant la vie qui s'ouvre et ces grands yeux délavés qui ne savent encore rien de l'aliénation, du travail salarié (répétition dans la phrase) et de l'avenir sombre de la planète...
Mais un bébé n'est pas un cliché dépressif d'Anne Geddes.
C'est un petit être fureteur, avide, curieux, ouvert à toutes les expériences, prêt à s'émouvoir à la première aspérité, à buter dans le premier obstacle et à y retourner derechef, capable d'hurler à la moindre frustration et à rire aux éclats à la moindre intervention d'un mouvement coloré. A rester contemplatif du moindre souffle ou du moindre son. Prêt à répéter, à imiter, à détourner les objets sans la moindre arrière pensée et le moindre pré-requis.
Faire de tout un jeu.
A ce titre, on peut l'affirmer : le violoniste -et aussi altiste- Théo Ceccaldi et le pianiste Roberto Negro, tous deux membres de l'acclamé Tricollectif sont de sacré bébés cadum.
Et même pas vrai que c'est une insulte.
Babies est le premier disque en duo de ces deux musiciens du collectif orléanais que l'on pourrait présenter comme les individualités les plus en pointes du « Trico » : le premier est membre de l'ONJ Olivier Benoit, son trio a déjà fait l'objet de moult chroniques élogieuses et il est de bon nombre de beaux projets. Le second a posé avec Birdy So les jalons d'un grand pianiste et d'un grand compositeur ; tous les deux on déjà montré en quartet avec La Scala des propensions à réinventer leur discours et à mêler à leur improvisations toutes sortes d'influences...
Sauf que ce n'est pas comme ça que ça marche, au Tricollectif. Il n'y a pas de tête d'affiche. Il y a un projet commun, décliné en multiples entités. Et dans la lente exploration de « Bavoir », ou l'archet sonde chaque atome des cordes et que Negro va chercher la moindre miette qui se serai glissé dans l'interstice des cordes du tréfond de son piano, il y a tout autant la brume de Marcel et Solange que le flot De L'eau , la nuit, voire les déplacements incertains de Durio Zibethinus.
Il y a des ingrédients qui conditionne une identité ; il se trouve qu'ici, se sont Ceccaldi et Negro et qu'il en reviennent aux prémices du jeu, au jeu brut des bébés qui apprennent de chaque geste et rigolent de se voir dans le miroir. Et nous, avec eux, surtout lorsque la musique à la pétulance obsessionnelle de « ninin », comme peuvent l'être tous les objets fétiches.
Parmi les rhizomes de ces Babies, la seconde école de Vienne vient parmi les plus prégnantes, on s'en aperçoit dans le ravissant « Hochet » qui ouvre cet album paru sur le label du Triton, la salle des Lilas. Mais ce n'est mais pas seulement cela : Joëlle Léandre, la marraine du Collectif plane encore une fois sur ce disque, notamment dans la voracité de « Biberon », sans doute le morceau le plus intéressant de cette visite kaléidoscopique du monde de la petite enfance.
On laissera la surprise de la pochette, qui résume en une image le cycle de la vie, mais on s'attache rapidement à ces bébés. Ils touchent à tout, ils sont parfois un peu morveux, un peu baveux, leurs couches ne sont pas toujours très net, ils ne sont jamais vraiment bien peignés (surtout Théo, c'est un fait), mais c'est comme ça qu'on les préfère. Curieux, rieur, avec un surmoi en pointillés et la vie devant eux à en rendre chèvre Françoise Dolto et Laurence Pernoud réunies (même pas pour un match de catch.)
Ce n'est pas la moindre de leur qualité.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...