Bi-Ki ? - Quelque chose au milieu
Lomme est l'une des commune associée à Lille depuis de nombreuses années. Ca aurait pu être Ronchin ou Lambersart, c'est Lomme qu'a choisi le duo Bi-Ki ? comme terrain de jeu, ou plutôt comme terrain d'expérimentation sonore pour se fondre dans la ville.
En réalité, les deux saxophonistes alto Jean-Baptiste Rubin et Sakina Abdou, que l'on connaît bien pour être des acteurs de la scène nordiste la plus vivace.
Tous les deux faisaient partie du projet Feldspath d'Olivier Benoit avant que celui-ci ne prenne les rennes de l'ONJ, mais chacun a de son côté une expérience aux confins de nos musiques. Rubin avait fait parler de lui dans Louis Minus XVI dans un registre plus agressif et Sakina Abdou avait pu démontrer de son opiniâtreté et de son acidité dans Eliogabal, deux groupes produits par BeCoq, que l'on retrouve naturellement ici à la manœuvre en collaboration avec Helix, une division de Circum.
Comme on se retrouve.
Ils ont choisi Lomme parce qu'ils y étaient en résidence, mais aussi parce que pour jouer cette musique quasi-immobile, envahissante, troublante, il était nécessaire de connaître la topographie des lieux, les chemins d'usage. Lomme c'est Lille. Et Lille, c'est leur terrain de jeu. La palpitation des lieux familiers fait office de rythmique dans cette succession de paysage : l'église, le marché, la piscine, et même l'autoroute.
Ce n'est pas cette dernière qui sert d'à-plat le plus chaotique. Ce n'est pas non plus le plus vivant. C'est un lieu, parmi d'autres.
Dans « Tenues », première incursion sur le pont au dessus de la bande roulante, les deux alto grattent les graves, s'intègrent au souffle vrombissant des autos, leur donne une sorte de relief en se laissant aller parfois au crissement. Les slaps joués devant l'Hôtel de Ville (« Sib », qu'on entend aussi dans l'Eglise) ou les tiraillements de « C3/C5/∞ » dans l'église, jouant avec l'écho sont beaucoup plus virulents.
On ne sera guère étonné de trouver derrière ce projet Jean-Luc Guionnet. Il ne joue pas, mais il est aux manettes, à la prise de son de ces Field Recordings souterrains qui mettent en scène les deux saxophones. On pense bien évidemment à Stone, Air, Axioms qu'avait fait paraître Helix il y a quelques années, mais ici le matériel et moins abrupt, notamment dans le remarquable « Grand bassin / Attaques inversées »...
Il y a une véritable scénarisation dans ce long morceau au milieu des cris, des rires, des écoulements et des splashs, qui peuvent être coupés, effacés, étouffés et revenir en explosion soudaine au milieu d'un claquement de anche gavé d'écho.
La référence auquel on songe également, c'est le Quatuor Machaut. Il y a cette même volonté de dompter l'espace, de lui donner du sens, de le faire entrer en plein dans la musique jouée. Mais ici, point de composition ancienne. Juste deux altos à l'unisson qui cherchent, éraflent la masse de bruits quotidiens comme pour mieux s'y intégrer.
C'est parfois très aride, à l'image de ce que BeCoq avait pu proposer avec WATT par exemple. Mais ici, l'apparent immobilisme fait face au quotidien. S'immisce dans la cité, dans les discussions et les rires du marché, dans les petites choses peu signifiante du quotidien qui prennent d'un coup des allures de dramaturgie. Un disque qui nécessite de s'abandonner et d'oublier les repères, pour s'en faire de nouveau. Bi-Ki ? Nous envoie une carte postale de Lomme.
Ou du moins de ses entrailles.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...