Hachiya / Koyama / Yokohama / Vincent - Four Pillars of Destiny
Les disques de musique improvisées nous font souvent voyager, et pas seulement dans la tête. L'abolition de nombreuses distances, ou du moins leur rétrécissement permet de découvrir de magnifiques instrumentistes avec plus de facilités qu'auparavant, notamment pour la scène japonaise. Elle est riche, ancienne, toujours étonnante, mais parfois un peu absconse. Pour décoder tout cela, il faut des éclaireurs, et des messagers.
Ce blog suit le travail d'Hugues Vincent depuis maintenant un certain temps. Il sera d'ailleurs à Tours le 11 novembre à l'Espace Saint-Anne avec Takumi Seino.
Nommons le violoncelliste « éclaireur ». Installé à Kyoto depuis de nombreuses années, on l'a vu explorer toutes les textures envisageables de son violoncelle dans Fragments avec Yasumune Morishige. Des sons proches de la voix aux timbres les plus minéraux ; Vincent est un musicien entier, qui ne dédaigne pas s'aventurer dans des registres proches de la Musique Contemporaine, avec les Cello Pieces.
Mais pour entendre ce éclaireur, ce défricheur des secrets nippons, il faut un messager ; pour cela, il faut compter sur Improvising Beings, le label de ce cher Julien Palomo. Le label est fidèle au violoncelliste. C'est donc sans surprise que l'on déniche Four Pillars of Destiny, le premier album d'un quartet qui unit trois musiciens japonais à notre expatrié.
Enregistré à Sapporo au tout début de l'année, ces quatre pilliers de la Destinée ont un double sens.
Il y a les quatre musiciens, bien entendu, quatre improvisateurs capables de modifier le continuum par des prises de risques où l'immobilité apparente n'est qu'une illusion (« tension », morceau court où l'archet de Vincent se frotte au souffle épars du jeune trompettiste Yuta Yokohama). Mais il s'agit surtout en Asie de la divination de l'avenir ; ou plutôt de la destinée assigné par l'instant de la naissance et sa numérologie abstraite.
Lorsqu'il est question du temps bien entendu, le jazz n'est jamais loin. Il surgit au détour d'« Ohayo... », lorsque le cri de la chanteuse s'articule pour mieux marquer la rythmique d'un violoncelle devenu maître de la sécheresse et du temps, à l'instar de ce que l'on entendra plus loin sur l'étonnant dialogue au long court entre souffle et cordes (« Go South »).
Cet instant nous révèle un trompettiste assez marqué par le travail d'Itaru Oki, notamment dans l'espace du souffle et la dureté du grain (« Go West ») et dont on entendra encore parler, soyons en sûrs.
La maîtrise du temps, le batteur Shota Koyama la survole. Vétéran du jazz au Japon, on a pu l'entendre notamment dans un des nombreux orchestres d'Aki Takase (Oriental Express, il y a vingt ans, en septet). Son drumming est agressif, très métallique mais laisse beaucoup de place à ses comparses. Ainsi « Sei Dei Arara » qui s'ouvre sur un éparpillement de frappes qui s'organisent peu à peu permet à la chanteur Maki Hachiya de jouer avec les mots, les phonèmes et les claquements en tout genre. Parfois, elle se confond avec le violoncelle.
Elle est omniprésente dans la construction collective sans ne jamais tirer la couverture à elle. Elle fait briller cet album, incontestablement, lui donnant beaucoup de relief. C'est une habitué des aventures avec Hugues Vincent, il existe un album, l'oiseau de Moebius que je n'ai pas eu l'occasion d'entendre.
Four Pillars of Destiny est une belle surprise, un disque homogène et très onirique qui captive immédiatement l'auditeur en embrassant un spectre assez large. On en redemande.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...