Emmanuel Scarpa - Invisible Worlds
C'est un projet troublant, et forcément excitant que nous propose le batteur Emmanuel Scarpa avec Invisible Worlds, paru sur le label COAX Records et qui regroupe un orchestre aussi étourdissant que surprenant par sa diversité, d'Anne Magouët au chant à Olivier Lété à la basse électrique en passant par Marc Ducret qui croise la violoncelliste Noémie Boutin (celle là même qui signe, en passant, un très bel album classique chez nos amies de NoMadMusic).
Etonnant Scarpa, batteur aussi discret qu'il sait être tonitruant et qui anime depuis de nombreuses années la rythmique complexe de Radiation 10, dont on retrouve ici quelques traits, notamment dans la construction extrêmement huilée de "... They Are Getting Through", où la guitare nerveuse et obsessionnelle de Julien Desprez, accompagné du saxophone de Pierre-Antoine Badaroux qu'on attendait pas forcément dans ce domaine, vient percuter de plein fouet la tournerie commune de Boutin et de Sylvaine Hélary, aussi aérienne que l'électricité peut-être tellurique.
Très vite, dans ce disque extrêmement scénarisé qui conte une histoire chorale de rencontre impossible, on voit apparaïtre en filigrane toutes les collaborations de Scarpa. Radiation 10, nous venons de le dire, qui explore une musique complexe et très écrite, qui tangue parfois au près des rivage contemporain mais se pare de quelques atours très anciens, notamment lorsque la mezzo-soprano Anne Magouët vient préter sa voix au fantomatique "At The Same Time". Puis on se souvient que Scarpa fait partie du trio de Sylvaine Hélary, ou encore qu'il a croisé Ducret avec Umlaut et Desprez avec Phil Giordani.
Il en résulte un mélange détonnant aux franges de toutes les marges, qui peut passer tour à tour d'une musique répétitive et languissante ("A Loner of Desolation Peak") au charme crépusculaire à un soudain accès de rage ("A Man in a Crowd", qui rappelle que la puissance du rock ne mets pas longtemps à bouillir dans les veines.)
On passe de l'un à l'autre sans rupture et même avec un certain naturel, comme cet orchestre qui, individuellement comme collectivement n'accepte pas d'être mis dans des cases. On y entend beaucoup de choses en effet, et même des reliefs de jazz-rock bien assimilés et débarassés d'inutiles fanfreluches.
On pense de loin en loin, à ce que Ducret a pu proposer dans Tower : cette sorte d'entre-deux, de zones à défricher qui décide de ne pas trancher entre méticulosité et énergie brute... Et qui s'offre même des moment de douceur carénée d'acide, à l'image de "Tangible World" où le travail des timbres, amalgamés par l'archet de Noémie Boutin qui fouille au tréfond de l'âme sans verser une seule seconde dans l'émotion de surface.
Outre la grande implication de l'orchestre qui éclaire le disque, c'est l'approche de Scarpa qui le rend assez unique. Le batteur n'est pas omniprésent, il sait s'effacer. Bien sur, il croise parfois le fer avec l'électricité contondante de ses comparses, mais il sait aussi donner vie à cette histoire et à la musique qu'il porte sans s'obliger à mettre le rythme en avant. C'est un projet très abouti que nous propose encore une fois le collectif COAX. On y adhère parfaitement.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir