Pomme de Terre - L'Apocalypse selon St Niels
On peut, en quelques mots, retrouver toute la personnalité du trompettiste Aymeric Avice dans ce très beau Pomme de Terre que l'excellent label Jazzdor Series nous propose.
La discrétion d'abord, et le caractère affable. Des clés sont exposés par le musicien dans une interview qu'il m'avait donné pour Citizen Jazz, elles apparaissent ici clairement dans le maelström d'une musique farouche, puissante, qui rappelle les expérience de Jean-Louis, un premier trio du COAX Collectif qui reste une référence pour les power trio libres et électriques : Pomme de terre se dit Ziemniak en polonais, et c'est justement le nom de son batteur, l'orageux Etienne Ziemniak, qu'on connait pour sa collaboration au Daumenkino Trio et à Vocuhila.
Ici, Ziemniak a toute latitude pour faire parler la poudre : dans le "chapitre V" de cet Apocalypse selon St Niels, il peut donner cours à toute sa rage, jouant sur la crête des cymbales sans sembler connaître d'essoufflement. La batterie est la racine de Pomme de Terre, son tégument à tout le moins, ce qui permet à Avice de jouer avec ce détachement apparent qui est en réalité le tison de l'incendie. Tout autour de lui inspire le chaos, et la trompette vogue en douceur ("Chapitre VI"). Comme le dit Philippe Ochem dans les notes de pochette, le jeu d'Avice a des réminiscence de Free Bop, et il parvient à prendre le flux de l'électricité alentour sans se permettre d'être référentiel. Souvent, cette musique semble venir d'un endroit inédit, inexploré tout à fait personnel, comme ce "Chapitre VII" qui fait vraiment songer à ce qui se développait dans Jean-Louis.
Notamment lorsque la trompette s'électrifie dans une vulgate zappaïenne qui n'est jamais très loin, au risque de l'électrocution.
L'électricité de Pomme de Terre (qui est par ailleur un objet conducteur, on en avait fait l'expérience au collège) n'est pas un vain mot. Avec Ziemniak et Avice, ce sont deux guitares qui viennent apporter le chaos. On se souvient qu'au départ, l'orchestre était un trio avec Julien Desprez, c'est désormais un quartet avec Richard Comte et Niels Mestre. On connait le premier pour son label .nunc et pour son implication dans la musique improvisée, on avait croisé le second dans l'ARBF de Yoram Rosilio. Ce sont les maîtres des textures, de ce qui permet à l'orchestre de partir très loin et de chercher la transe, ce qui est patent dans "Chapitre VIII" et qui se répercute tout au long de l'album... Y compris lorsqu'à la toute fin le flux semble se tarir, comme un souffle à reprendre.
Il n'y a oas de combats entre les guitaristes, très complémentaires. Pas de rodomontades, juste la volonté de fusionner l'énergie. S'il s'agit de l'Apocalypse selon St Niels, c'est que Mestre n'y est pas étranger. C'est vrai que dès le "Chapitre I", c'est lui qui porte le fer, mais la dynamique est diablement collective, et incroyablement généreuse.
Aymeric Avice est un artisan discret doublé d'un amoureux de l'improvisation. Cette Pomme de Terre lui ressemble, nourrissante et basique, pleine de surprise et de plaisir. On en redemande.