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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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11 octobre 2013

Anthony Braxton - Echo Echo Mirror House

Anthony Braxton est un créateur fourmillant de tellement d'idées, de concepts ou de nouvelles voies à prendre qu'il est parfois difficile de le suivre. On est face, souvent à une ligne de fracture. Il y a ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas, ceux pour qui la complexité, la recherche absolue et brute de nouvelles approches orchestrales et/ou improvisationnelles ne se réduise qu'à un mur de bruit qui obstrue l'horizon.
Il n'y a pas à discuter là dessus ; juste à essayer de convaincre le curieux que ce mur a suffisament d'interstices pour laisser passer la lumière la plus chaleureuse et découvrir un horizon radieux. Pour tout dire, La composition N° 347+ que nous propose Braxton en septet dans son Echo Echo Mirror House sorti récemment sur le label Victo est l'outil idéal pour la démonstration.
Ou pour l'éloignement définitif
Depuis toujours, ces pages font parties de celles qui peuvent. Chaque disque de Braxton est une avancée dans un monde inconnu qui reprend des codes, des démarches et essaye d'en tirer un suc syncrétique qui permet de voir encore plus loin. Ce fut le cas notamment de toute la période des années 70, avec comme point d'orgue le Creative Orchestra, et plus récemment en compagnie de ses deux jeunes complices, Taylor Ho Bynum et Mary Halvorson.
On l'avait évoqué lors d'un disque remarquable en trio, mais également dans un 12+1tet qui célébrait la Ghost Trance Serie ou motifs répétitifs et espace entre les solistes étaient les marques de fabrique principales. Ces deux albums étaient enregistrés live au festival canadien de Victoriaville, comme le présent album.
Avec Echo Echo Mirror House, exit la Ghost Trance. Braxton réuni un septet d'habitués où l'on retrouve les désormais indispensable Bynum et Halvorson, mais aussi Jessica Pavone aux violons, Jay Rozen au tuba, Carl Testa à la contrebasse et à la clarinette basse (!) et Aaron Siegel aux percussions et au vibraphone. Chacun des musicien est muni d'un Ipod qui peut diffuser aléatoirement de la musique, qui peut se croiser, s'incrémenter voire se heurter aux autres solistes. Le résultat, extrêmement touffu, sonne comme un grand orchestre entropique qui semble partir dans toutes les directions en même temps, si l'on y prête pas attention...
Mais cette musique, d'une rare complexité, demande une attention accrue. N'imaginez pas avoir d'autres activité que l'écoute méticuleuse et recueillie de ce morceau unique d'une heure enregistré en 2011. Sans quoi vous seriez balayé par un cataclysme, un tourbillon sonore qui vous paraîtra sans issue.
Belle erreur.
Qu'est-ce qu'une heure pour se perdre en forêt et retrouver son chemin à travers les branchages ? Un temps suspendu, un moment de plaisir malgré l'ardeur ? C'est ce que ce septet vous propose.
Lorsque à la vingtième minute, l'alto de Braxton se heurte, comme à ses plus jeunes heures, à la guitare plus que jamais bâtisseuse d'Halvorson sur la pluie cristalinne du vibraphone pendant qu'un chanteur ténor s'échappe d'un Ipod, il y a quelque chose de lumineux qui s'empare de cet apparente cohue. Idem lorsqu'un choeur d'enfant numérisé vient danser sur les rythmiques virulentes d'un orchestre incandescent.
Il y a dans tout cela une légèreté presque incongrue, pleine de coins et de recoins. On distingue ça et là des dialogues fugaces, des paroles chuchotées qui s'échappe de la masse orchestrale : Pavone et Testa qui texturent un temps faible de ce magma en fusion, Braxton, Halvorson et Bynum qui reforme l'espace d'une minute un trio venimeux avant qu'un piano sorti d'un ipod vienne infléchir cette direction...
On le dit presque à chaque fois, mais avec cet album, Braxton franchit un peu plus le pas qui le sépare de la musique contemporaine, sans pour autant délaisser ce jazz dont il est toujours l'un des plus grand propagandiste. Ecoutons, pour s'en convaincre, le premier tiers du morceau où des masses bipolaires viennent se heurter à un big-band fantomatique... Mais pris dans son ensemble Echo Echo Mirror House fait songer à Stockhausen ou à Berio, voire à une musique concrète devenue incarnée.
On pourra écouter des centaines de fois cet album foisonnant, tout est tellement tellurique qu'on y retrouvera toujours de nouvelles voies et de nouvelles surprises, de nouvelles masses orchestrales qui se heurtent l'une à l'autre dans un fracas fécond.
Un disque important, à manier avec les précautions d'usage...

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

01-Jumièges

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